Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/998

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu des murs et des piliers, a élevé des séparations, a créé des appartemens de formes et d’aspects très divers. À Melidhoni, comme partout d’ailleurs où j’en ai vu, les stalactites n’ont point cette transparence, ces facettes étincelantes qu’on leur prête dans certaines descriptions plus poétiques que vraies ; elles sont au contraire d’un blanc mat et presque terreux. C’est surtout à leurs formes variées, imprévues, bizarres, qu’est dû l’effet qu’elles produisent : ici, ce sont des rangs de colonnes et des culs-de-lampe comme ceux de nos cathédrales gothiques ; là, de minces colonnettes, serrées les unes contre les autres, semblent figurer des tuyaux d’orgues ; plus loin, séparant deux salles l’une de l’autre, pendent à grands plis d’énormes draperies, de prodigieux rideaux : on dirait du velours ou du brocart blanc. Le plafond d’où descendent ces immobiles tentures se relève souvent si haut qu’il se dérobe à notre vue ; nos torches, mises au bout d’une grande perche, ne peuvent projeter assez loin leur fumeuse lumière pour nous montrer les bornes des sombres salles où nous errons, le cœur serré de cette angoisse secrète que l’homme éprouve toujours tant qu’il reste plongé dans les entrailles de la terre, loin des joyeux rayons du soleil et de cette lumière « si douce à voir » qu’invoquent et que regrettent en mourant les héroïnes de la tragédie grecque.

Les récits que nous font nos guides, des Grecs de Melidhoni, pendant cette longue promenade, contribuent encore à attrister et à frapper notre imagination. Dans l’été de 1822, plus de trois cents chrétiens s’étaient réfugiés dans cette grotte ; c’étaient surtout des femmes, des enfans et des vieillards. Il y avait pourtant avec eux assez d’hommes résolus pour défendre contre toute une armée l’étroite entrée, où l’on ne peut se glisser que sur le ventre. Les fugitifs avaient des provisions, et les Turcs, impatiens de vengeance, ne voulaient pas s’arrêter à un blocus et attendre l’effet de la famine. Profitant donc d’un jour où le vent soufflait avec violence contre l’ouverture béante, les musulmans entassèrent au pied du rocher toute espèce de matières combustibles, et y mirent le feu. Chassée par la brise, une épaisse et acre fumée se précipita aussitôt dans l’intérieur. Les malheureux chrétiens s’enfuirent jusque dans les retraites les plus reculées, jusque dans les dernières profondeurs du souterrain ; mais le nuage fatal les y atteignit. Tous, sans exception, périrent étouffés. Les Turcs, doutant eux-mêmes du succès de leur terrible invention, attendirent dix-huit jours devant la grotte. Enfin, n’entendant plus sortir aucun bruit de ce tombeau, ils y firent entrer un prisonnier qui eut grand’peine à les convaincre qu’il ne s’y trouvait plus aucun être vivant, et qu’ils n’avaient à craindre aucune embuscade. L’explorateur eut beau leur apporter des preuves