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de Rhetimo est seule à produire. La ville n’a d’ailleurs rien conservé d’antique que son nom et ne mérite pas d’arrêter un seul jour le voyageur ; mais le district voisin de Mylopotamo renferme une curiosité naturelle que nous ne saurions oublier : je veux parler de la grotte de Melidhoni, dont les stalactites et les aspects étranges n’ont rien à envier à la célèbre grotte d’Antiparos. L’intérêt que cette caverne et ses formations calcaires peuvent inspirer au savant et au curieux est encore avivé par les tristes et sanglans souvenirs que fait planer sur ce site un des plus douloureux épisodes de la guerre de l’indépendance.

L’entrée de la grotte s’ouvre au milieu d’une paroi de rocher que la main de l’homme a taillée dans l’antiquité ; sous la terre et les pierres amoncelées, on distingue encore les premiers vers d’une inscription métrique de l’époque romaine, qui a pu être à peu près entièrement lue et transcrite. Cette inscription prouve que du temps de l’empire on adorait en ce lieu Hermès sous le nom de Talléen ; mais ce culte ne paraît pas très ancien, et il est probable que la grotte était autrefois consacrée à cet homme de bronze, à ce Talos, vieille divinité crétoise qui joue un assez grand rôle dans le cycle de Minos. Les sacrifices humains paraissent, à une époque très reculée, avoir été en usage dans l’île de Crète, comme dans plusieurs autres parties de la Grèce, et quelques traits de la légende de Talos donnent lieu de croire que ce dieu en particulier recevait de telles offrandes. Il est donc possible que cette caverne ait été, à une époque très reculée, le théâtre de rites mystérieux et sanglans. Peut-être l’hécatombe humaine que les Turcs y ont immolée pendant la guerre récente n’est pas la première qu’elle ait enveloppée de ses ombres ; peut-être les os d’autres victimes reposent-ils dans le dur et brillant linceul sous lequel elle se hâte de couvrir et de cacher tout ce qu’on lui abandonne.

La grotte est très profonde. Nous y passâmes plus de deux heures avec des paysans du village qui nous servaient de guides, et qui s’étaient munis chacun de plusieurs grandes torches de cire que nous avait vendues le papas. Toujours nous entrions dans de nouvelles salles, de nouvelles galeries, et, dans toutes les directions que nous prenions, nous revenions sur nos pas bien avant d’avoir trouvé le passage barré devant nous. Il faudrait, pour s’avancer hardiment sur ce sol inégal et au milieu de ces précipices souterrains, des cordes et des échelles. La forme de la caverne paraît fort irrégulière, et il est très difficile de s’en faire une idée, même après avoir parcouru la grotte dans tous les sens. Dans l’origine, c’étaient, je crois, de vastes espaces vides où l’eau, tombant goutte à goutte du haut plafond de roche pendant des milliers d’années, a bâti peu à