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avec les ruines de son château perché sur un haut promontoire ; puis, en tournant à l’ouest le long de la côte, à travers un pays aride et nu, on arrive bientôt au bourg de Sfakia, chef-lieu administratif de la province. On y compte de quatre à cinq cents maisons ; mais l’aspect n’en est pas gai. Beaucoup de ces habitations, ruinées pendant la guerre de l’indépendance, n’ont été qu’imparfaitement réparées ; d’autres, qui n’abritent leurs propriétaires que pendant l’hiver, étaient encore fermées au moment où nous visitions Sfakia. Point de port ; quelques caïques dorment sur le sable. Ce fut à l’aide de l’une de ces embarcations que nous quittâmes Sfakia ; les sentiers qui du bourg conduisent à la seconde des vallées sfakiotes, celle d’Haghia-Roumeli et de Samaria, ne peuvent guère servir qu’aux montagnards eux-mêmes, et aux agrimia ou chèvres sauvages qui abondent dans les Monts-Blancs, et dont la tête figure sur les monnaies de plusieurs des cités antiques de cette région. Poussée par un bon vent, notre barque longea pendant une demi-journée de hautes et âpres montagnes qui se terminent à la mer par des falaises escarpées où les vagues ont creusé de nombreuses cavernes. À mi-chemin à peu près entre Sfakia et Haghia-Roumeli, nous passâmes devant Loutro, l’ancien Port Phœnix ; c’est le seul mouillage qu’il y ait sur toute cette côte inhospitalière. Quelques goélettes s’y balançaient à l’ancre.

Le village d’Haghia-Roumeli, qui occupe à peu près l’emplacement d’une vieille cité dorienne, Tarrha, est situé à vingt minutes environ de la mer, à l’entrée de la vallée à laquelle il donne son nom. Il y a une quarantaine de maisons, dominées par deux hautes murailles de rochers que les chamois seuls sauraient gravir. La vallée est encore pourtant assez large pour permettre aux chaumières d’avoir autour d’elles quelques jardins et quelques petits champs. De ce point, trois heures de route, qu’il faut faire à pied, conduisent à Samaria, autre village situé à la naissance de la vallée, au cœur même des Monts-Blancs. Le défilé, dans l’ensemble, est moins resserré que celui d’Askyfo ; mais il a plus de variété, plus de grandeur, et l’eau, qui, même l’été, ne manque jamais ici, et qui gronde parmi les rochers, ajoute, par son mouvement et son bruit, à l’effet du spectacle. L’aspect change sans cesse ; ici la vallée est large, les pentes sont boisées ; là les deux colossales parois se rapprochent tout d’un coup et semblent vouloir barrer le passage au voyageur, les roches se dépouillent de toute verdure et se coupent à pic ; elles pendent sur votre tête, rouges, abruptes, menaçantes. En un endroit, on n’a plus devant soi qu’une fente étroite où l’on ne s’engage pas sans terreur. Ce n’est pas la main de l’homme qui l’a creusée, c’est, comme à Askyfo, le torrent qui s’est frayé cette voie. Quand ses eaux sont basses, il laisse de la place aux passans ;