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souvent l’aspect du marbre. L’île est partagée naturellement par ses montagnes en trois régions distinctes, dont chacune a sa physionomie et son caractère. Comme c’est à La Canée que vous amène le paquebot qui, par Syra, met Athènes et l’Europe en communication avec la Crète, et comme La Canée est située au pied même des Monts-Blancs et au centre du pays que dominent ces âpres sommets, c’est de La Canée que nous partirons pour visiter l’île, et c’est la région occidentale que nous parcourrons la première.

Le premier aspect de la Crète, quand on débarque à La Canée, ne répond guère à l’attente du voyageur ; on espérait mieux de cette contrée, que ses habitans comparaient autrefois au paradis, et où les Arabes, dans les premiers jours de leur conquête, croyaient reconnaître cette terre de lait et de miel que leur avilit dépeinte le Coran. La Canée, qui occupe, on ne saurait en douter, l’emplacement de l’ancienne Kydonia, est une petite ville d’environ dix-huit mille âmes, toute badigeonnée de blanc, dépourvue de jardins et d’arbres, sans rien de cette élégance, de cet aspect agréable et varié que présentent presque toujours de loin les villes turques. Autour de La Canée s’étend, pierreux et brûlé du soleil, un petit plateau qui, dans la saison où je vis pour la première fois ce pays, au mois de septembre 1857, avait depuis longtemps déjà perdu son seul ornement, les maigres moissons qu’il donne à grand’peine ; vers l’est, ce sont les rochers nus et tristes de Chalepa et d’un énorme promontoire montueux nommé l’Acrotiri ; vers l’ouest, une île, un cap non moins desséchés, non moins désolés. Le fond du tableau est formé par l’imposante masse des Monts-Blancs ; ce qui manque à ces montagnes pour être vraiment belles, ce n’est pas la hauteur, mais la netteté des contours, la distinction et l’originalité des formes. Grâce à l’excessive transparence de l’air, l’œil peut en remonter les pentes, en sonder les ravins, en atteindre les sommets arrondis et tous semblables l’un à l’autre ; partout c’est la même absence de végétation, la même nudité, la même teinte grise et terreuse. Nulle forêt ne noircit les flancs de la montagne ; à peine aperçoit-on des oliviers au fond de quelques vallées.

Auprès de la ville, les champs sont tous bordés d’énormes aloès ; tout ce site et cette nature ont quelque chose d’africain. Ce qui ajoute à la ressemblance, c’est un village de fellahs bâti sous les murs de la ville. Venus en Crète comme soldats d’Ibrahim, ces paysans d’Égypte et de Syrie y restèrent la guerre finie, et y appelèrent leurs femmes et leurs enfans, ou s’y marièrent avec des Africaines amenées dans l’île par l’esclavage. Au lieu de s’établir dans l’intérieur de la cité, ils se refirent là, sur le rivage, un petit coin d’Égypte. À voir ces maisons blanches et basses à peu près sans fenêtres, ces toits plats couverts de feuillages desséchés, ces femmes