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ottomans ne pouvaient pourtant se résigner à laisser toujours aux mains de Venise une position aussi avantageuse, d’aussi beaux ports, d’aussi fertiles rivages. La lutte s’engagea en 1645 : après de longues alternatives de succès et de revers, après un siège qui dura plus de vingt ans, et qui fut illustré par l’opiniâtre génie de Morosini, par l’héroïque et folle bravoure de La Feuillade et des Français qui servaient sous ses ordres, Candie capitula le 6 septembre 1669. La Crète est demeurée depuis lors au pouvoir des Turcs. Malgré la part glorieuse qu’elle avait prise à la guerre de l’indépendance, malgré les victoires qui avaient rejeté les musulmans dans les forteresses, la Crète, reconquise pour le sultan, comme la Morée, par les armes d’Ibrahim-Pacha, fut rendue et garantie à la Porte-Ottomane par la conférence de Londres en 1830. Telle a été l’histoire de l’île de Crète, telles ont été les vicissitudes qu’a traversées la population grecque, qui s’y est maintenue en dépit de toutes les invasions et de toutes les conquêtes ; mais c’est sa situation présente qui doit surtout appeler notre attention. On veut savoir quels sont les principaux caractères physiques du pays et ses aspects les plus frappans ; on se demande quels fruits y porte la terre partout où l’homme prend la peine de la solliciter à produire, de quels arbres s’y revêtent les collines là où ne les a point dénudées la folle incurie du pâtre ou l’aveugle rage du barbare, quelle belle race d’agiles et hardis montagnards nourrissent les fertiles vallées de Sélino et les inaccessibles gorges de Sfakia. Quelques souvenirs personnels pourront répondre à ces diverses questions ; ils feront comprendre aussi, nous l’espérons, de quel intérêt il eût été pour le royaume de Grèce de s’adjoindre dès l’origine l’île de Crète, et quel important accroissement de richesse et de force elle eût été pour le nouvel état.


I

Comme la plupart des îles de l’Archipel, la Crète est traversée par une longue chaîne qui court, de l’est à l’ouest, d’un rivage à l’autre. Cette chaîne se compose de trois montagnes bien distinctes qui s’en détachent en saillie, et semblent au premier aspect former autant de massifs isolés, mais qui n’en sont pas moins reliées en un même système. Ce sont le Dicté (aujourd’hui Lassiti ou Sitia) à l’est, l’Ida (aujourd’hui Psiloriti) au centre, et les Monts-Blancs (Leuca-Ori, aujourd’hui Aspro-Vouna ou monts Sphakiottici) à l’ouest, ainsi nommés dans l’antiquité soit à cause des neiges qui en couvrent les cimes pendant une grande partie de l’année, soit plutôt, si je ne me trompe, à cause de la couleur blanchâtre que présentent le plus souvent ces massifs abrupts, formés d’une roche calcaire qui imite