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Il y a des Achéens, des Étéocrétois magnanimes, des Kydoniens, des Doriens à l’aigrette flottante, et des Pélasges de race divine. Parmi les cités, la plus illustre est Cnosse, où durant neuf ans régna Minos, ami du grand Jupiter. » Bientôt après l’élément dorien prit le dessus, et il imprima aux institutions civiles et politiques des républiques crétoises, ainsi qu’au dialecte qui s’y parlait, un caractère tout particulier, dont l’originalité avait attiré l’attention des anciens eux-mêmes ; mais aucune des trois grandes cités doriennes de l’île, Gnosse, Kydonie et Gortyne, ne réussit, malgré des guerres longues et opiniâtres, à conquérir une suprématie assez marquée pour disposer à son gré des ressources de la Crète entière, et pour en réunir les forces dans une action commune. Les villes de second ordre, comme Aptera, Polyrrhénie, Lampe, Axos, Elyros, Hierapytna, se joignant, selon les circonstances ou le caprice du moment, tantôt à Kydonie, tantôt à Gortyne ou à Gnosse, éternisaient la lutte en empêchant aucun des partis de remporter une victoire décisive et de s’assurer une durable prépondérance. Également infructueux furent les efforts tentés à diverses reprises pour rattacher les unes aux autres les cités crétoises par le lien tout moral d’une équitable fédération. Plusieurs fois ébauchée sous le nom de syncrétisme, terme qui, en passant dans notre langue, a reçu une signification toute métaphorique, et bien éloignée de son sens primitif, cette ligue ne prit pas de consistance ; elle resta toujours incomplète et fragile, et ne réussit point à donner à la Crète l’unité politique, à la mettre en passe de faire sentir sa puissance sur le continent et dans les îles voisines, et de défendre avec succès son indépendance contre toute agression étrangère.

Il eût été difficile qu’il en fût autrement, avec toutes ces étroites et sinueuses vallées qui aboutissent à la mer et ne communiquent entre elles que par des cols élevés ou des gorges faciles à défendre. Que l’on construisît, à l’endroit le plus resserré du passage, une de ces grosses tours bâties sans ciment, en blocs énormes soigneusement appareillés, comme on en trouve encore plus d’une, à peine ébréchée par les siècles, au cœur de ces montagnes, une faible garnison suffisait pour fermer les routes qui conduisaient à la cité ; celle-ci d’ailleurs était elle-même pourvue de fortes murailles et située sur quelque hauteur d’où l’on voyait au loin venir l’ennemi. Dans ces conditions, la guerre entre états limitrophes pouvait continuer et continuait de génération en génération, sans autre résultat que l’enlèvement de quelques troupeaux et le ravage des plantations d’oliviers situées dans le bas pays, à l’issue des vallées et sur les rivages. Il fallait, pour arriver enfin à un succès décisif, quelque insigne perfidie, quelque odieuse trahison, comme celles dont furent victimes les Lyctiens et les Apolloniates ; alors la haine,