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Un sentiment secret de possible bonheur
Me remue avec force et m’agite le cœur ;
Je monte, je descends, je marche tel qu’un homme
Qui veut jouir… Soudain j’ignore vraiment comme
Il se fait qu’il m’échappe un soupir douloureux,
J’ai de l’humeur,… et puis tout un jour malheureux ! »

Tel est, noble Obermann, le récit d’une course
Que tu fis un matin aux lieux où l’humble source
Du mont Chauvet gémit… Or, près d’elle écoutant
Murmurer sur mon front le feuillage flottant,
À part moi je songeais à cette promenade
Et cherchais la raison d’une fin si maussade
Et de l’étrange humeur qui, sans motif réel,
T’avait tout obscurci la verdure et le ciel.

Mélancolique ami du riant Épicure,
Peu d’humains mieux que toi sentirent la naturel
Tu compris ses aspects sublimes ou touchans,
La splendeur des soleils dans leurs rouges couchans,
La rose effusion des clartés matinales,
La muette blancheur des neiges virginales,
Et sur les verts sommets ignorés des vivans
L’éloquence des pins agités par les vents.
Tout ce qui chante, flotte, étincelle, s’enflamme,
Aviva ton esprit, émerveilla ton âme,
Et cédant au pouvoir de tant de purs attraits,
Afin de mieux jouir de leur spectacle frais,
Bien souvent, dégoûté des peuplades humaines,
Pour les bois et les monts tu désertas les plaines.
Et cependant, malgré l’enivrante douceur
Que la grande Sirène épanchait en ton cœur,
Une amère tristesse empoisonnait ta vie
Et rendait tes destins bien peu dignes d’envie.
Qu’avais-tu donc, rêveur ! quel démon altérait
Partout le flot de miel que la nature offrait
À tes lèvres ?… Hélas ! sous la grâce visible
Des formes tu sentais, indomptable et terrible,
Une force toujours prête à l’anéantir.
Puis tu reconnaissais à travers ton plaisir
Que tu n’étais qu’une ombre, un lambeau de nuage
Que le moindre zéphyr allait dans son passage
Balayer et dissoudre, et qu’autour de ton front,
Devant toi, sous tes pieds, le lac au flot profond,