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Newton ou d’Ampère, a quelque chose de faux, d’incomplet ; mais la formule même des objections que de telles hypothèses soulèvent change avec le temps et révèle un progrès lent vers la vérité absolue. D’une autre part, quand la métaphysique tente imprudemment de définir l’absolu, elle n’enferme jamais dans ses définitions que la science de son temps. Et que pourrait-elle mettre d’autre sous le manteau de ses formules ? Il semble déjà plus difficile de tracer une limite précise entre la force absolue et la force relative, surtout depuis que la science a cessé de peupler le monde de forces indépendantes, isolées les unes des autres et sans lien. Elle considère aujourd’hui toute énergie particulière comme une parcelle de l’énergie universelle, et l’on ne voit pas trop comment distinguer cette énergie universelle de je ne sais quelle énergie absolue dégagée de toute loi et soustraite à toute règle. L’embarras est aussi grand, s’il faut séparer l’espace absolu de l’espace relatif, le temps absolu du temps relatif. Dans le domaine de ces abstractions, la métaphysique donne la main à la philosophie positive, et l’on ne comprend guère quel avantage on trouverait à les mettre en hostilité. Seulement la nouvelle école s’est laissé emporter trop loin dans sa réaction contre le passé. On n’échappe pas, dans la région sereine des idées, aux passions qui soulèvent et agitent sans cesse les sociétés humaines. S’il a pu être nécessaire de mettre fin aux discussions verbeuses où s’usait la métaphysique pour ramener l’esprit humain sur le terrain solide des faits, il pourra bientôt redevenir utile de lui montrer fréquemment ces grands sommets auxquels il ne doit pas cesser d’aspirer.

Toute loi, avons-nous dit, implique une abstraction et une mesure ; mais l’idée de mesure est, si l’on y regarde de près, une idée toute métaphysique. Il n’y a de mesure possible que si l’objet mesuré et si l’unité de mesure demeurent constans. À quoi servirait-il de promener une longueur sur une autre longueur, si toutes deux, à notre insu, pouvaient varier ? Qu’est-ce donc qui nous garantit l’identité de l’objet à lui-même ? J’ai en vain cherché dans M. Spencer une réponse satisfaisante à cette question. La métaphysique n’a pas lieu d’en être embarrassée ; elle pose l’absolu comme la forme où se confondent et se marient tous les infinis, et l’infini ne peut varier de grandeur, bien qu’il puisse embrasser en lui toutes les variations. Pourquoi repousser comme inutile l’appui de la raison pure, de ce qu’on pourrait nommer l’esthétique intellectuelle, de cette intuition spontanée, directe, des vérités absolues qui conduit droit au vrai les intelligences d’élite ? Ces vues profondes resteront toujours, il est certain, le privilège du petit nombre ; la science, qui est la servante de l’humanité entière, n’y fera jamais pénétrer ses doctrines qu’en