Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dire que notre marché est très riche, qu’il y a abondance de capitaux, et que 150 millions de plus ou de moins à emprunter ne changeront rien à l’état des cours ? Cela nous paraît peu probable. Si aujourd’hui la rente est à 66 50, si les meilleures valeurs ne trouvent à se placer que difficilement, cela prouve ou que les capitaux ne sont rien moins que très abondans, ou qu’ils ne se soucient pas d’entrer dans les valeurs. Il faut savoir de plus que la rente est de toutes les valeurs celle dont le classement est peut-être le plus difficile. On la souscrit avec empressement dans les emprunts publics : quand le chiffre de l’emprunt présente une bonification assez large, on offre quatre ou cinq capitaux pour un ; mais il faut se garder de croire que ceux qui la souscrivent ont l’intention de la garder : ils ne veulent généralement que réaliser le bénéfice, et ils la rejettent ensuite sur le marché, où elle pèse pendant un temps plus ou moins long ; on n’a qu’à se rappeler ce qui s’est passé après chaque emprunt, ce qui s’est passé encore tout récemment à la suite du grand déclassement opéré par la conversion. Nous n’hésitons pas à dire que, si dans les circonstances actuelles on empruntait 150 millions de plus qu’il ne convient pour les besoins du trésor, ces 150 millions affecteraient le marché public pendant un temps plus ou moins long, et que, loin de faire hausser la rente, le premier effet serait de la faire baisser.

Maintenant est-il vrai que l’utilité de l’emploi de ces 150 millions puisse compenser largement cet inconvénient ? On prétend qu’il en résultera immédiatement un abaissement notable du taux de l’intérêt. Veut-on dire que la Banque de France pourra mettre, comme autrefois, le taux de son escompte à 4 pour 100, lorsqu’il est à 8 pour 100 à Londres, à 10 pour 100 à Saint-Pétersbourg, et à 6 à 7 pour 100 sur les principales places de l’Allemagne ? Alors nous lui prédisons qu’elle ne gardera pas longtemps dans sa caisse les 150 millions, qu’il ne se sera pas écoulé huit jours avant qu’elle ne soit revenue à la situation où elle est aujourd’hui avec 150 millions de rentes de moins en réserve, comme garantie de ses opérations. Cependant il faut supposer qu’une fois les 150 millions réalisés, la Banque ne commettrait pas l’insigne folie qu’on lui propose de les prêter à un taux d’intérêt notablement inférieur au taux actuel. Mais s’en servît-elle pour diminuer tant soit peu le taux de l’intérêt au-dessous du cours normal, ces 150 millions lui seraient encore enlevés en très peu de temps par la solidarité qui existe entre tous les principaux marchés de l’Europe, et ils ne contribueraient en rien à atténuer la crise.

Ce n’est pas seulement la Banque de France qui a son capital immobilisé en rentes : c’est aussi la Banque d’Angleterre, ce sont les