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un organisme vivant, qui s’accroît de lui-même, se modifie, se plie à des besoins changeans, et elle ne parle que dédaigneusement de tant de constitutions qui, sorties un jour toutes faites du cerveau d’un penseur, sont le lendemain déchirées par l’épée d’un soldat ou par un caprice populaire. Quel pays a eu de plus grands théoriciens politiques que la France, Montesquieu, Sieyès, Royer-Collard, Benjamin Constant, Tocqueville, M. Guizot ? Mais quel pays a été condamné à changer si souvent de constitutions ? L’Anglais qui admire avec le moins de réserve les institutions politiques de son pays, qui les croit le plus irréprochables, n’est pas pour cela le moins du monde disposé à en essayer la propagande. De ce qu’elles sont bonnes pour lui-même, il ne les croit pas bonnes partout, pour tout le monde, et dans le choix de ses alliances par exemple il apporte un esprit dégagé de toute préoccupation théorique.

Ainsi que la constitution, la loi anglaise est l’œuvre progressive du temps ; elle se compose presque tout entière de précédens. La mémoire la plus souple et la plus tenace se perd dans le dédale de ces arrêts, qui remplissent une montagne de volumes, où chaque année apporte une nouvelle assise. Rien de comparable à ces codes, qui sont le fruit d’un vaste labeur individuel, d’une discussion savante et raisonnée. C’est en France, en Italie, en Allemagne, qu’il faut chercher les profonds commentateurs du droit romain, les plus éloquens criminalistes, les plus grands représentans du droit moderne ; mais où trouver un pays où l’accusé soit entouré de plus de garanties qu’en Angleterre, où le juge soit plus indépendant, mieux placé à l’abri des prétentions du pouvoir exécutif ou des passions de la multitude ?

L’esprit philosophique ne se découvre pas plus dans la théologie que dans les lois. La littérature théologique est plus féconde peut-être en Angleterre qu’en beaucoup d’autres pays ; mais on y cherche en vain l’esprit de la haute critique moderne. Les essais d’exégèse qui depuis quelque temps ont jeté le trouble dans le monde religieux du royaume-uni ne sont qu’un écho assez timide des idées allemandes. Malgré les dissidences de tant de sectes, il y a dans le pays un fonds d’idées religieuses communes que la tradition protège, que soutient l’esprit conservateur, qui restent en dehors et à l’abri de toute discussion, et qui font en quelque sorte partie du tempérament de la nation. La philosophie ne tient qu’une place étroite et presque oubliée dans les deux capitales intellectuelles du royaume, à Oxford et à Cambridge. L’étude du grec et du latin y sert comme d’excuse et de justification à quelques commentaires sur les philosophes de l’antiquité. La métaphysique proprement dite n’a qu’une chaire où M. Mansel, esprit distingué d’ailleurs et élégant,