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par nation et sur place, non-seulement ils ne sont pas un produit spontané des îles sur lesquelles on les a trouvés, mais de plus ils y sont arrivés par voie de migration volontaire ou de dissémination involontaire successivement et en procédant de l’ouest à l’est, au moins pour l’ensemble. Ils sont partis des archipels orientaux de l’Asie, et on retrouve encore dans ces derniers la race souche, parfaitement reconnaissais à ses caractères physiques aussi bien qu’à son langage. Ils se sont établis et constitués d’abord à Samoa et à Tonga ; de là, ils sont passés dans les autres archipels de l’immense océan ouvert devant eux. En abordant les îles qu’ils venaient peupler, tantôt les émigrans les ont trouvées entièrement désertes[1], tantôt ils y ont rencontré quelques rares tribus de sang noir, évidemment arrivées là par quelques-uns de ces accidens de navigation qu’ont pu constater presque tous les voyageurs européens. Soit purs, soit alliés à ces tribus nègres erratiques, ils ont formé des centres secondaires d’où sont parties de nouvelles colonies étendant de plus en plus l’aire polynésienne. Aucune de ces migrations ne remonte au-delà des temps historiques ; quelques-unes des principales ont eu lieu soit peu avant, soit peu après l’ère chrétienne ; d’autres sont plus récentes, et il en est de tout à fait modernes.

Telles sont les conséquences auxquelles conduisent impérieusement, non pas des préjugés ou des suppositions quelconques, mais un ensemble de faits recueillis lentement, un à un, par des observateurs divers, travaillant à l’insu l’un de l’autre, depuis Cook et Forster, qui nous transmettaient la carte de Tupaïa sans en soupçonner l’importance, jusqu’à Porter, Ellis, Williams, jusqu’à l’amiral Lavaud, M. Gaussin et M. Remy, qui recueillaient des traditions concordantes à plusieurs centaines de lieues l’un de l’autre. M. Hale aussi a apporté sa part à ce faisceau d’informations ; mais son grand mérite a été de les coordonner, d’en tirer la conséquence générale, d’aborder et de résoudre plusieurs des problèmes spéciaux qui entrent comme autant d’élémens dans la question d’ensemble. Son travail subira sans doute et doit recevoir déjà, comme on a pu le reconnaître, certaines corrections de détail ; mais la conclusion fondamentale en est certainement inattaquable, et à ce point de vue les poèmes traduits par sir George Grey, les chants de Tahiti et la généalogie de Raïatéa recueillis par l’amiral Lavaud, tout en modifiant les dates indiquées pour les migrations maories et tahitiennes, ont apporté à l’œuvre du savant et perspicace Américain la plus éclatante confirmation.

A. de Quatrefages
  1. Les traditions de Rarotonga, peuplée à la fois par des Samoans et des Tahitiens à une époque antérieure de vingt-neuf générations à l’expédition américaine, c’est-à-dire vers l’an 970, sont très explicites sur ce point (Hale).