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rée comme représentant soit un règne, soit une génération. En outre, par une vanité dont on trouve des exemples ailleurs qu’en Polynésie, quelques chefs ont placé parmi leurs ancêtres un certain nombre de divinités. Les listes généalogiques doivent donc être raccourcies d’un certain nombre de générations ou de règnes, ce qui entraîne une nouvelle et assez sérieuse cause d’incertitude.

Néanmoins, même en prenant ces généalogies dans leur signification la plus étendue, en considérant chaque vers comme répondant à une génération, en donnant à chaque génération une durée de trente ans comme en Europe, enfin en acceptant à titre d’ancêtres réels les êtres manifestement fabuleux d’où prétendent descendre les plus nobles Polynésiens, on est fort loin de sortir des limites du passé le plus franchement historique. Ainsi à Noukahiva, dans les Marquises, Gattanéwa, l’ami du capitaine Porter, ne faisait remonter qu’à quatre-vingt-huit générations l’époque à laquelle ses premiers ancêtres arrivèrent de Vavaou. Ce chiffre nous ramènerait de deux mille six cent quarante ans en arrière. Comme l’expédition de Porter eut lieu en 1813, il reporterait à l’an 827 avant notre ère l’événement dont il s’agit. D’après M. Hale, la généalogie des Taméhaméha, souverains des Sandwich, comptait en 1840 soixante-sept générations. La très curieuse histoire indigène publiée par notre compatriote M. Jules Remy porte ce chiffre à soixante-quinze pour l’année 1838[1]. Le premier de ces documens donnerait un total de deux mille dix années, le second onze cent douze ans. Le premier ferait remonter à cent soixante-dix ans avant notre ère l’arrivée à Hawaii des premiers colons venant de Tahiti ; le second reporterait cette même arrivée à l’an quatre cent douze avant notre ère. Ces dates, on le voit, n’ont rien d’effrayant ; mais cette généalogie hawaiienne est manifestement fabuleuse au début. On y voit figurer à titre d’ancêtres des rois d’Hawaii des divinités de divers ordres, des abstractions personnifiées, des incarnations successives d’une même déesse… Ces traditions, qui se rapportent aux Marquises, à Tahiti, à Samoa ou à Tonga, tout en attestant une fois de plus l’unité de race et d’origine de ces populations, n’en étendent pas moins au-delà du vrai cette liste d’ascendans des Taméhaméba. Aussi M. Haie, après une étude attentive, croit-il devoir retrancher vingt-deux générations. D’après le savant américain, les quarante-cinq

  1. Ka mooolelo Hawaii (Histoire de l’Archipel havaiien), texte et traduction précédés d’une introduction sur l’état physique, moral et politique du pays, 1662. Cette histoire a été composée et imprimée par les élèves indigènes de la grande école de Lahai-naluna. Le principal auteur-de cet ouvrage (nous apprend M. Remy) fut Navika ou David Malo, mort en 1853, et qui avait consacré sa vie à étudier l’histoire de son pays. Une partie seulement de ces recherches a été publiée. Il est probable que cet annaliste indigène a donné des ancêtres de ses chefs une généalogie plus complète que celle dont M. Hale avait eu connaissance.