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Les Malaisiens, chassés de Viti, durent naturellement gagner l’archipel de Tonga, le plus voisin, et dont sans doute ils avaient déjà eu connaissance. Là ils trouvèrent la place prise par les colons venus de Samoa. Ces deux peuples de même race durent en venir aux mains, et cette fois la victoire se déclara en faveur des fugitifs. Ils surent en user comme l’ont fait en Europe les conquérans du moyen âge : au lieu d’expulser ou d’exterminer les vaincus, ils les forcèrent d’exploiter à leur profit le sol conquis, et les attachèrent à la glèbe. Ainsi s’explique l’existence aux îles Tonga du servage proprement dit, institution qui n’existe nulle part ailleurs dans la Polynésie[1] ; ainsi se trouvèrent constituées à l’extrémité occidentale de la Mer du Sud deux colonies quelque peu différentes l’une de l’autre à certains égards, quoique composées toutes deux d’élémens malaisiens plus ou moins purs[2]. Ce sont elles qui ont peuplé la Polynésie ; mais le rôle qu’elles ont joué a été fort inégal. Samoa, l’Hawaïki des Maoris, l’Havaii des Tahitiens, a fourni la presque totalité des émigrations. C’est à elle que se rattache directement ou indirectement l’immense majorité des populations insulaires, et à ce titre elle mérite vraiment la qualification que lui attribuait Tupaïa.

Suivons le principal courant de ces émigrations depuis son point de départ jusqu’aux Sandwich en passant par les Iles de la Société et les Marquises. — Que Tahiti et ses dépendances aient été peuplées par des colons samoans, c’est ce qui résulte clairement des traditions recueillies par Cook et plusieurs de ses successeurs. Ellis entre autres, qui pendant un séjour de six années a pu réunir sur cet archipel des renseignemens aussi importans que nombreux, nous apprend que la plaine sacrée d’Opoa, dans l’île de Raïatéa, s’appelait autrefois Havaii, que là se montra Oro, lequel dans ces anciennes traditions n’est ni tout à fait un dieu ni tout à fait un homme, et qu’il fut le premier roi d’Havaii, d’où sortirent les nombreuses colonies qui se répandirent dans les îles voisines. — Cette légende, rapprochée de ce que nous savons déjà, devient une histoire très simple et très vraie. Oro n’est évidemment qu’un chef

    ploi de ces moyens d’étude est ici d’autant plus sûr, que les événemens sont très simples, qu’ils se passent entre deux races seulement, et que ces deux races sont extrêmement différentes.

  1. Les serfs forment dans les îles Tonga une classe à part sous le nom de tua, et ne peuvent sortir de leur condition.
  2. Je rappellerai que par le mot de Malaisiens je n’entends pas ici les Malais proprement dits, mais bien une de ces populations qui, tout en tenant de ces derniers, se rapprochent plus qu’eux du type blanc. C’est aussi dans ces contrées et plus particulièrement aux environs de Timor que M. Gaussin a trouvé les langues qui ont le plus de rapport avec le polynésien. Notre compatriote se rencontre ainsi entièrement avec Earle, dont nous avons déjà invoqué le témoignage.