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propre nom aux localités qu’ils découvrent, comme l’ont fait et le font chaque jour les navigateurs européens ; en outre, parmi les dénominations imposées par les émigrés d’Hawaïki, il en est qui sont empruntées aux souvenirs de la mère-patrie, et ce fait, également d’accord avec nos propres habitudes, acquiert ici une importance toute particulière.

En arrivant à Makétu, Tama-té-Kapua eut affaire à un ennemi qu’il était probablement loin d’attendre. Le magicien Ruaéo, dont il avait enlevé la femme, s’était embarqué sur son propre canot, le Pukéatéa-waï-nui, et était arrivé, le premier sur ce point de la côte, accompagné de cent quarante hommes. Il surprit l’équipage de l’Arawa encore plongé dans un profond sommeil[1] ; mais, au lieu d’abuser de sa position et de massacrer ses adversaires, il les éveilla en frappant les flancs du canot avec sa massue et défia Tama’ en combat singulier. Les deux ennemis combattirent d’abord à l’épée. Tama’ frappa le premier, mais Rua’ para le coup, et, saisissant les bras de son adversaire, il le désarma, le terrassa quatre fois de suite, et finit par le couvrir d’insectes qui s’attachèrent si bien à la tête et aux oreilles de Tama’ que celui-ci ne put s’en débarrasser. « Alors Rua’ lui dit : Maintenant que je t’ai battu, garde la femme comme dédommagement de la honte que j’ai amassée sur toi[2]. » Puis il partit avec ses guerriers et alla chercher ailleurs un lieu où il pût se fixer. Cette rude leçon ne paraît pas avoir corrigé Tama’. On le voit peu après se prendre de querelle avec un autre de ses compagnons, et, forcé de quitter Makétu, faire de nouvelles découvertes. Enfin il meurt et est enseveli par Ngatoro’. Pour ce fait même, celui-ci est frappé du tabou, et il revient à Makétu accomplir les cérémonies nécessaires pour s’en affranchir ([3].

De tous les chefs partis d’Hawaïki, Ngatoro’ paraît être celui qui a laissé les traces les plus profondes dans les souvenirs de ces anciennes populations. Évidemment il doit surtout cet honneur au pouvoir surnaturel dont on le croyait revêtu. Déjà nous avons vu l’empire qu’on lui attribuait sur les astres et les élémens : il reparaît ailleurs avec le même caractère. Il laissait, dit la légende, ses marques sur tous les lieux qu’il découvrait pour en prendre possession, et ces marques « étaient fées. » Le premier il osa entreprendre l’ascension du Tohgariro, montagne dont le sommet couvert de neige

  1. La tradition attribue ce sommeil aux conjurations de Ruaéo.
  2. Ce langage montre avec quel mépris la femme est traitée dès cette époque par les Polynésiens.
  3. Dès l’époque des émigrations, le tabou avec toutes ses conséquences était donc en vigueur chez les Maoris. Il est évident qu’ils avaient apporté cette institution de leur mère-patrie, d’Hawaïki.