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hommes habiles abattirent un arbre à Rarotonga, qui est située de l’autre côté d’Hawaiki[1], et en tirèrent le bâtiment nommé l’Arawa. ensuite Hotu-roa construisit l’autre bâtiment, le Taïnui, avec l’aide d’ouvriers que lui prêta Tama-té-Kapua ; ce chef, qu’on a vu figurer dans la légende précédente, fit aussi partie de l’expédition. Quatre autres navires dont les noms ont été également conservés se joignirent aux premiers. Tous ces canots furent construits à l’aide des deux haches faites par Ngahué avec le bloc de jade qu’il avait rapporté de la Nouvelle-Zélande.

Au moment où la flottille était prête à partir, Tama-té-Kapua, qui commandait l’Arawa, se rappela qu’il n’avait à son bord aucun prêtre habile et résolut de s’en procurer un par artifice. Il engagea Ngatoro-i-rangi, commandant du Taïnui, à venir accomplir sur son canot toutes les cérémonies prescrites. Ngatoro’ accepta et monta avec sa femme Kéaroa sur le navire de Tama’. Celui-ci fit alors lever l’ancre, retint ses hôtes jusqu’au soir et s’écarta assez des autres canots pour qu’ils ne pussent regagner leur embarcation. En même temps il enlevait la femme de Ruaéo, un de ses compagnons, qu’il avait éloigné au moment du départ en feignant de lui donner une commission. De là est venu le proverbe en vigueur à la Nouvelle-Zélande : « un descendant de Tama-té-Kapua volera tout ce qu’il pourra. » Ce dernier larcin cependant faillit coûter cher à celui qui s’en était rendu coupable. Rua’ était un savant magicien, et par ses conjurations « il changea les étoiles du soir en étoiles du matin, et celles du matin en étoiles du soir[2], » et l’Arawa s’égara au loin sur l’Océan.

Ngatoro’, étonné de la marche du navire et du vaste espace qu’il avait déjà parcouru, résolut « de monter sur le toit de la maison construite sur la plate-forme qui joignait les deux canots[3], » et de s’assurer si l’on ne voyait pas quelque terre à l’horizon. Crai-

  1. Il est fort singulier de trouver ici le nom de Rarotonga. C’est celui d’une île de l’archipel de Manaïa, situéo au sud-ouest de Tahiti. Or cette mystérieuse Hawaïki, dont il est question dans les légendes maories, n’est autre chose qu’une des îles Samoa. Il est bien peu probable que les nouveaux Argonautes soient allés chercher aussi loin l’arbre nécessaire à la construction de leur canot. C’est donc d’une localité appartenant à l’archipel d’où ils partaient qu’il s’agit. Ce nom se retrouve sans doute aux îles Manaïa par suite de l’usage où étaient les émigrans de donner des noms de leur pays aux terres découvertes par eux.
  2. Kadou, le Carolin dont nous avons raconté l’histoire, aurait pu expliquer ainsi l’erreur qui lui fit laisser derrière lui ses lies natales. Il est évident qu’ici le fait explique la légende.
  3. Ce passage est important : il nous apprend que les embarcations dont il s’agit ici étaient de ces grands canots doubles que nos plus habiles marins ont admirés et qu’ils déclarent être très propres à des voyages de long cours. Cette circonstance enlève à l’expédition dont nous parlons ici une part de ce qu’elle pouvait avoir d’impossible aux