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nos arts perfectionnés mettent à la disposition des Européens. Seulement il comprit que, pour atteindre ce but aussi humain qu’honorable, il fallait pouvoir apprécier à leur juste valeur les griefs qui avaient causé chez les Maoris une irritation profonde et générale. Pour cela, il était nécessaire de communiquer avec eux directement et sans l’intermédiaire des interprètes, qui tronquent presque toujours et parfois défigurent les paroles qu’ils sont chargés de transmettre. Son premier soin fut donc d’apprendre la langue. Il put ainsi traiter par lui-même avec les chefs les plus influens les graves questions de paix et de guerre d’où dépendait l’avenir de la colonie. Bientôt il reconnut que d’anciennes traditions, des croyances mythologiques auxquelles on faisait des allusions fréquentes, d’anciens poèmes dont on lui citait les fragmens, etc., exerçaient une influence considérable sur les opinions et sur les relations des hommes auxquels il s’adressait. Il comprit que le seul moyen d’agir efficacement sur ces esprits prévenus était de se mettre au courant de leur histoire, de leurs préjugés. La double tâche que s’imposait sir George Grey était bien loin d’être facile. Il dut apprendre le langage actuel et les anciens dialectes sans livre, sans dictionnaire ; il dut recueillir un à un, et souvent de personnes différentes, par fragmens isolés, les vieux chants qui servent d’archives à la race maorie, et cela au milieu d’occupations absorbantes qui lui laissaient à peine quelques instans de loisir ; mais soutenu par le sentiment du devoir, par la conscience des services qu’il pouvait rendre, il surmonta ces difficultés. Ce long travail ne fut pas perdu. Sir George Grey pacifia la Nouvelle-Zélande[1], et il a attaché son nom à une œuvre scientifique d’une haute importance.

Ce sont ces documens si consciencieusement réunis que nous allons analyser, et nous ne reculerons pas devant quelques détails même minutieux. D’une part ce sont ces détails mêmes qui portent le mieux la conviction dans les esprits, et d’autre part nous aurons à faire ressortir chez les premiers colons de la Nouvelle-Zélande plus d’un trait de mœurs, de caractère, de croyance, qui se retrou-

  1. Nous faisons des vœux bien vifs pour que les successeurs de sir G. Grey suivent le noble exemple qu’il a donné. La guerre s’est rallumée dans la Nouvelle-Zélande, et dernièrement encore le Times racontait avec une joie peu déguisée que des mesures étaient prises pour la pousser avec la plus grande vigueur. Espérons que le triomphe assuré des armes anglaises n’aura pas ici les suites terribles qu’il a eues ailleurs. Faire de la Nouvelle-Zélande une nouvelle Tasmanie, c’est-à-dire une terre où la race anglaise aurait en entier remplacé la race indigène par suite de l’extermination totale de celle-ci, serait un crime dont nous laissons juges tous nos lecteurs. L’esclavage avec tout ce qu’il a de pire serait un véritable progrès sur cette manière sauvage d’user de la victoire.