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les intérêts et les démarches des puissances étrangères. Au dedans, son ardeur entreprenante se traduisait par de promptes réformes qui mettaient fin aux dilapidations, raffermissaient la discipline dans l’armée, réveillaient l’esprit militaire, constituaient l’artillerie et le génie, et relevaient notre marine ; au dehors, par d’énergiques dépêches, par des changemens hardis de politique, par des conceptions inattendues. Son administration, qui réparait en partie les désastres de la guerre de sept ans, qui, en s’inspirant des grands principes de notre diplomatie, savait se maintenir en un complet accord avec l’esprit français du XVIIIe siècle, lui valut la haine implacable et constante de Frédéric II et de l’Angleterre, avec les dédains de Catherine II. Celle-ci l’appelait en se moquant « le cocher de l’Europe, » parce qu’il menait à grand train les affaires, de manière à secouer en effet l’indolence d’une partie de l’Europe et à ébruiter les plus sourdes menées de certaines puissances qui étaient nos ennemies. Frédéric II, qui exprime dans ses mémoires les doutes les moins fondés sur son patriotisme, lui rend une justice involontaire quand il l’appelle « l’homme le moins endurant qui fût jamais né en France. »

Le regard clairvoyant du duc de Choiseul ne manqua pas d’interroger l’état des relations entre le cabinet de Versailles et la Suède, et ce fut le signal d’un retour aux vraies traditions de notre politique. Au temps de Louis XIV, deux grands systèmes s’étaient partagé la conduite générale de l’Europe. À la tête des peuples de race latine, l’influence française s’était exercée sur le continent dans le sens des intérêts monarchiques et catholiques. Elle avait rencontré comme adversaires, à la tête des nations germaniques et protestantes liguées contre elle, l’Angleterre et la Hollande, qui avaient entraîné dans leur sphère d’action les peuples maritimes, et qui cherchaient à lui aliéner tout le nord de l’Europe. L’élévation de la Prusse et de la Russie était devenue pour la confédération du Nord un secours de plus ; les fautes de Charles XII, le mouvement de retraite de la Suède, l’anarchie de la Pologne, l’affaiblissement continu de l’empire ottoman, l’incertitude même de la monarchie autrichienne ; avaient procuré aux deux nouvelles puissances un rapide accroissement, qui était devenu et allait demeurer longtemps encore un péril imminent pour l’indépendance de l’Europe. Menacée de la sorte dans son rôle avoué de protectrice de l’équilibre général et dans sa propre liberté de mouvemens par une ligue puissante, la France se rappela son ancienne alliance, datant du XVIe siècle, avec les états secondaires, qu’elle s’était efforcée de soutenir isolément quand leur position à part pouvait servir à disjoindre plusieurs ennemis, ou de grouper ensemble, pour les ériger, s’il était