Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/857

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il était convenu en outre (comme si l’on avait lieu de prévoir que l’occasion se présenterait bientôt de mettre à exécution ces articles du traité) que les deux cours ne se contenteraient plus d’agir par leurs agens diplomatiques à Stockholm ; chacune d’elles devait équiper immédiatement sa flotte et tenir sur pied dans le voisinage de la frontière de Suède vingt mille hommes, avec artillerie et munitions suffisantes, afin d’ouvrir la campagne dès les premiers jours du printemps. Ainsi le partage de la Suède était réglé d’avance, le roi de Prusse devant s’emparer de la Poméranie, le roi de Danemark des provinces suédoises limitrophes de la Norvège, et la Russie de la Finlande, que depuis longtemps elle convoitait, et dont elle avait acquis déjà une partie à la suite de la guerre terminée en 1743.

Nous n’avons aucune preuve que le cabinet de Versailles ait connu les articles secrets que nous venons d’énumérer. Toutefois certains avis contenus çà et là dans les dépêches de M. de Breteuil pouvaient assurément contribuer à l’instruire. « Le Danemark veut avant tout maintenir l’abaissement de la Suède, écrivait M. de Breteuil le 27 mai 1766, et il est décidément ligué avec nos ennemis. Son chargé d’affaires est ici aux pieds du ministre de Russie. » Il annonce le lendemain que des troubles ont éclaté dans les provinces suédoises, et que dans la diète l’ordre du clergé a discuté s’il ne fallait pas appeler au secours de l’état et de la constitution les troupes russes. Le 22 août, il mande que la rentrée de M. Pitt au ministère anglais ne tardera pas sans doute à effectuer cette ligue du Nord, objet constant des vœux de l’impératrice : une diversion de la part des Turcs serait, assure-t-il, le seul moyen de contenir Catherine II. L’abbé Duprat, notre agent à Stockholm en attendant l’arrivée du comte de Saint-Priest, qui vient d’être nommé pour succéder au baron de Breteuil, signale, dans sa dépêche du 6 novembre 1767, l’effet produit sur l’esprit des Suédois par la violente conduite des Russes en Pologne. « La colère et la frayeur se trahissent à la fois, dit-il ; quelques membres du sénat ont paru applaudir à l’enlèvement des évêques de Cracovie et de Kiovie ; ils ont même osé rire quand on leur a lu le détail de ces actes révoltans, mandés par le ministre de Suède à Varsovie. M. de Löwenhielm, ministre des affaires étrangères, n’a pu s’empêcher de relever cette façon inconvenante d’apprécier de tels outrages à la liberté d’une nation indépendante et voisine, et il leur a dit que ce devait être plutôt pour des Suédois un sujet de réflexions sérieuses et de larmes. » L’abbé Duprat donnait aussi, dans sa dépêche du 8 avril 1768, des indications précieuses sur les rapports établis secrètement contre la Suède et contre nous entre la Russie et la Prusse :