Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paix profonde pour la Suède. Le pays respira, se remit un peu de l’oppression qu’il avait subie, et reprit heureusement quelques forces pour les épreuves qu’il allait avoir à subir encore ; mais ce repos ne pouvait durer, et les rivalités issues du milieu même des vainqueurs, c’est-à-dire du sein de la noblesse, enfantèrent bientôt les dissensions qui devaient ouvrir la Suède aux influences étrangères.

C’était particulièrement la vieille noblesse qui avait conduit jusqu’à ses dernières limites le triomphe de 1720. On attribuait à son chef, le comte Arvid Horn, la plus grande part dans l’œuvre de la constitution nouvelle. Orgueilleux et austère, renommé pour sa brillante valeur sur les champs de bataille de Charles XII, de plus religieux et charitable, le comte représentait fidèlement les préjugés et les vertus de la vieille aristocratie. Il se trompait d’époque lorsqu’il croyait pouvoir supprimer l’autorité royale au profit exclusif de sa caste ; mais du moins il apportait dans les affaires, lui et ses amis, une expérience et des souvenirs qui manquaient à la jeune noblesse. Son gouvernement se montra essentiellement conservateur, et la paix dura tant qu’il fut au pouvoir. Cependant les jeunes nobles étaient jaloux de cette autorité exclusive ; pour en obtenir une part, ils appelèrent à eux la popularité : ils ne craignirent pas d’exciter à nouveau les instincts guerriers de la nation en réveillant ses haines mal éteintes, et l’alliance traditionnelle avec la France leur parut offrir le plus sûr moyen de réaliser ce plan funeste. Il avait fallu toute la fermeté du comte Arvid Horn pour résister aux intrigues du ministre Görtz, qui, d’accord avec le fameux Alberoni, eût voulu soulever une guerre générale en Europe. Cette fermeté échoua contre la dextérité du nouveau chef de la jeune noblesse, le comte Charles Gyllenborg. D’une famille dont l’élévation ne datait que du règne de Charles XII, mais brillant et spirituel, plein de ressources, peu scrupuleux sur les moyens, agréable au roi et à une partie de la cour par des mœurs faciles et légères, doué d’une parole élégante qui servait utilement son esprit d’aventure, le contraire en un mot de ce qu’était Arvid Horn, Gyllenborg entreprit d’entraîner l’opinion publique et de la faire servir à ses desseins. Les expédiens qu’il appela à son aide étaient de ceux qui conviennent aux guerres civiles, et que les discordes allaient bientôt populariser dans les différens états de l’Europe : c’étaient les pamphlets et les clubs, importations anglaises de bonne heure accueillies en Suède. Gyllenborg persuadait à la nation que le temps était venu de venger les injures qu’on avait subies naguère, et de reprendre les provinces cédées à la Russie. Précisément la France était engagée alors dans la guerre de la succession de Pologne ;