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levées d’hommes et d’impôts ; l’épuisement de la nation, joint au malheureux effet des désastres militaires, avait failli le faire détrôner ; la balle de Frederikshall était venue à temps pour épargner à la Suède cette honte, mais non pour prévenir les conséquences fatales du despotisme. Deux graves circonstances étaient de nature d’ailleurs à enfanter l’anarchie. La première était l’incertitude de la succession : Charles XII ne laissait pas d’héritier direct, sa sœur aînée et son mari, le duc de Holstein, étaient morts ; mais leur fils, Charles-Frédéric, survivait : contre ce prétendant, la seconde sœur du roi, Ulrique-Éléonore, mariée au prince de Hesse, réclamait la couronne. Charles XII lui-même n’avait pris aucune disposition ; non obéi pendant les dernières années de sa vie, il n’avait pas demandé qu’on lui obéît après sa mort. La seconde circonstance était l’impérieuse nécessité de conclure promptement la paix avec la Russie, soit pour mettre un terme aux prétentions que le cabinet de Pétersbourg puisait dans l’enivrement de ses récentes victoires, soit pour apporter enfin un soulagement à la misère de la nation. L’esprit de parti exploita ces difficultés, et la diète, où la noblesse reprenait le dessus, au lieu de songer au patriotique dessein de fermer tant de blessures, abusa du malheur des temps. Ulrique-Éléonore monta sur le trône par le choix des états, en acceptant toutes les conditions qu’on lui voulut prescrire, et elle fut bientôt remplacée par son mari, le faible Frédéric Ier, qui allait régner plus de trente ans (1720-1751) ; le jeune duc de Holstein fut ainsi éloigné, précisément parce que son élévation eût consacré le droit de l’hérédité. Comme il était le candidat de la Russie, on essaya de désintéresser le tsar en lui cédant tout ce qu’il voulut s’arroger des anciennes possessions de la Suède. On eut ainsi à l’intérieur la funeste constitution de 1720, au dehors la paix honteuse de 1721.

La constitution de 1720, dictée par l’aristocratie suédoise, fut une œuvre d’égoïsme irréfléchi. On conservait une royauté et un sénat, mais c’était entre les mains de la diète que résidait l’intégrité de la puissance suprême. La diète, composée des quatre ordres ou états, s’assemblait tous les trois ans et ne pouvait être dissoute que par elle-même. Indépendante du roi et du sénat, elle avait les mêmes pouvoirs qui n’étaient possédés par les deux chambres d’Angleterre que conjointement avec le roi. Le pouvoir législatif lui appartenait sans limites ; elle décidait seule la paix ou la guerre, elle s’arrogeait le pouvoir judiciaire en évoquant à son gré devant une de ses commissions les causes qui étaient du ressort des cours souveraines ; enfin son autorité se concentrait dans un comité secret, purement à sa nomination, qu’elle composait d’un certain nombre de membres des trois premiers ordres, et qui était, à vrai