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REVUE DES DEUX MONDES.

— Chassée ! répéta Lucy, de .nouveau toute en pleurs. La baronne s’approcha, la força doucement de reposer sa tête sur l’oreiller, et de ses propres mains vraiment se mit à l’accommoder dans son lit. Encore une fois pourtant Lucy se redressa.

— Eh ! quand il me chasserait, s’écria-t-elle, du moins je l’aurais revu !

Mais ce fut le dernier effort de ce cœur débile et de cette conscience mourante. Elle se laissa décidément retomber sur son lit, La baronne se pencha sur elle. — Ma chère Lucy, lui dit-elle à demivoix, ce nouveau malheur qui nous arrive vous fait une situation incomparable. Une femme abandonnée ! Il serait bien hardi maintenant celui qui laisserait voir autre chose que de la pitié quand on prononcera votre nom ! Et la pitié, voyez-vous, cela triomphe de tout le reste.

La situation de la baronne elle-même était encore meilleure, cent fois bien autrement solide, éclatante surtout. La sainte femme, depuis deux mois, s’en allait de gloire en gloire. Elle avait eu d’abord sa pécheresse et sa repentie, elle avait maintenant sa délaissée et sa martyre...

— Ainsi, dit Horace Raison à Julien, qui parlait encore, cette affiche miraculeusement arrivée jusqu’à toi dans ton voyage, qui t’a tiré du découragement, arraché au désespoir et décidé enfin à regagner l’Europe, cette affiche ne venait point de M"*" d’Espérilles, que tu aimais ? Cette récompense promise, ce n’était pas elle qui la promettait ? Cette manne tombée un matin dans ton cœur, ce n’était pas elle qui te l’envoyait ? C’était l’autre ?... Et cette autre se nommait Jeanne, me dis-tu ?

— Jeanne, fit Julien d’une voix sourde. L’annonce avait été imprimée par ses soins. Jeanne avait perdu sa bague, l’autre bague n’était qu’égarée. Jeanne seule attachait du prix à sa relique ; l’autre relique était dès lors au doigt d’une poupée ! Voilà ce que je sais depuis trois jours. Tu vois si mon erreur fut immense et si elle fut longue ; mais depuis quatre ans alors il ne m’était pas arrivé une fois peut-être de songer à la pauvre Jeanne. Je ne pouvais donc penser cela.

— Ni moi ! fit Horace en se levant brusquement ; mais, s’écriat-il, n’avait-elle pas enfin un autre nom, cette Jeanne ? Et ce nom, ne le sais-tu pas ?...

— Quoi ? répliqua Julien. Si je le sais ! Elle se nommait Jeanne Aubrée.

— Jeanne Aubrée,... répéta Horace ; vraiment ce nom ne me rappelle rien.

Et comme il se trouvait en ce moment près d’une fenêtre, il l’on-