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LA BAGUE D’ARGENT.

tôt ? Il savait tout. Il avait pardonné. Pourquoi avait-il repris sou pardon ?...

Ce qu’elle ne comprenait point, c’était cela. Elle s’abîmait dans ces ténèbres. Retournant encore à la gazette, elle n’y cherchait plus que le seul arrêt qui la condamnait ; elle dévorait les derniers mots écrits par Julien, et longtemps ensuite, d’un œil morne, considérait cette bague d’argent qu’il avait mise à son doigt, pendant qu’elle dormait, comme une accusation vivante, et qui y était restée. Ce qu’elle ne comprenait point, c’était la puissance de cette bague. Eh quoi ! fallait-il donc croire que d’avoir menti à ce sujet ce fût tout son crime ? Voilà pourquoi Julien l’avait à jamais quittée en lui lançant ce sanglant anathème ! Parce qu’elle avait négligé, oublié cette relique d’enfant qu’il croyait perdue ! Pour ce bijou ridicule, pour si peu l’avoir brisée, lui qui avait pardonné le reste ! Ainsi cette misère avait fait ce que la connaissance du passé n’avait pu faire. Quand au prix d’un terrible effort Julien en était arrivé à oublier ses anciens parjures, il n’hésitait pas à la tuer pour la découverte d’un si petit mensonge : ce que Lucy ne comprenait point, c’était que cette goutte d’eau eût fait tout à coup déborder le vase. Sa gardienne la vit soudain qui se dressait sur son lit : elle demandait sa fille, elle priait qu’on la lui amenât à l’instant même, elle voulait savoir ce que Lucette, interrogée par Julien, avait répondu au sujet de cette bague maudite ; mais une lueur de réflexion lui vint aussitôt. Eh bien ! oui, elle ne s’en souvenait que trop à présent, l’enfant autrefois avait reçu d’elle l’anneau d’argent pour en faire un jouet, et parce qu’elle le demandait avec instance. Ce que Lucette avait répondu à Julien, qui la pressait de lui répondre ? Hélas ! sans doute, la vérité...

Horace Piaison n’avait point manqué au rendez-vous que Julien lui avait donné le soir qui précéda cette étrange nuit de noces pour le matin qui devait la suivre. Lorsqu’il se présenta à l’hôtel, on lui dit que M. d’Égligny était parti. Il crut rêver. — Où était allé Julien ?

— On l’ignorait. — Quand reviendrait-il ? — Jamais. — Voilà 

ce qu’Horace tira d’un valet sur le visage duquel il lut une certaine expression combinée de surprise, de moquerie, de satisfaction et pourtant d’épouvante, qui lui parut un terrible signe. Tout ce mélange grimaçant sur cette face plate lui disait assez que ie malheur venait de s’abattre sur la maison. Le valet alors baissa la voix pour lui apprendre ce qu’il savait, — le bruit de l’office : — madame était abandonnée. Le premier mot d’Horace Raison, il faut le dire, ne fut pas pour plaindre la délaissée : ce fut un juron accentué avec une rare énergie. Il se souvenait qu’ayant une fois surpris Julien, quelques jours avant son mariage, penché sur la plaie béante