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LA BAGUE D’ARGENT.

— Et maintenant, reprit Horace Raison, il ne te reste plus qu’à tuer l’ennemi, si tu peux.

Julien fit quelques pas dans l’appartement sans répondre. Il marchait en trébuchant comme un homme ivre. Ce lourd silence, il le garda deux minutes peut-être.

— Quoi ! se disait Horace Raison, est-ce que le malheureux, avant d’agir, consulte encore son amour ?

Julien s’arrêta enfin, — Je le tuerai, dit-il, j’en suis sûr.

— Le comte, dit Horace Raison, est actuellement à Florence. Je le sais...

A ce moment, la porte qui faisait communiquer cette chambre avec celle de Lucy s’entr’ouvrit doucement. Ce bruit de voix avait dit à la jeune femme où était Julien et l’avait en même temps averti qu’il n’était pas seul. Elle venait, à petits pas, savoir qui pouvait être assez hardi à pareille heure pour le lui prendre... On ne vit qu’un des plis de sa robe qui passait par l’ entre-bâillement de la porte.

— Va, dit Julien à Horace, nous partirons demain. La porte s’était refermée brusquement quand Lucy avait reconnu Horace Raison. Horace sortit. Julien s’abîma dans un fauteuil et il pria comme il pouvait prier.

« Dieu, pensait-il, qui as fait la vie haïssable , pourquoi ceux qui parlent en ton nom nous disent-ils que tu nous défends de la quitter ? Et nous, si nous la haïssons, pourquoi nous montrer si dociles ?

De tous les partis à prendre, mourir est souvent le plus noble, 

presque toujours c’est le plus simple ; mais le plus simple aussi pour un naufragé qui flotte sur la mer immense, accroché à une carène brisée, c’est de lâcher l’épave impuissante et de se livrer à l’abîme. Et cependant il ne le fait point. Dieu ! c’est que dans cet abîme tu n’as pas jeté ta lumière, et que nous ne savons où va nous pousser l’aveugle furie du flot.

« Dieu ! il est aisé pourtant à ceux qui croient en toi, à ceux qui, résolus d’enfreindre cette loi d’exister que tu nous imposes, peuvent redouter ta justice, mais qui, connaissant ta bonté, peuvent espérer dans ta clémence, il est aisé à ceux-là de risquer la terrible aventure ; mais ceux en qui tu as voulu toi-même, par l’avalanche de douleurs que tu as fait rouler sur leur tête, écraser la foi vivante, ceux-là ont raison de retenir le bras dont ils allaient se frapper. Mourir est efi"rayant, mais ne plus être est horrible. Qui ne croit plus n’ose plus, et tu le sais, ô Dieu ! Est-ce là le redoutable moyen dont tu te sers pour forcer les malheureux à vivre ? )> Tout à coup Julien se releva, et il entra dans la chambre de sa femme.

Quand il passa le lendemain devant ses serviteurs, ils se pous-