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REVUE. — CHRONIQUE.

nous avons cités assurent à la Fiancée du roi de Garbe un certain nombre de représentations ; mais l’œuvre elle-même a reçu en naissant le germe d’une courte existence. Chose singulière, si l’on examine séparément chacun des nombreux morceaux que contiennent les trois actes de l’opéra qui nous occupe, on sera étonné de l’habileté qui s’y révèle, de la grâce, de l’élégance de certains détails d’instrumentation, et parfois on y découvre aussi un rayon attendri de jeunesse et de sentiment, comme dans la romance du ténor du premier acte, dont l’accompagnement est exquis ; mais laissez à leur place ces airs, ces duos, ces trios, ces chœurs et ces rhythmes sautillans qui persistent, qui vous poursuivent depuis l’ouverture jusqu’à la dernière scène, et vous sortirez de la représentation le cœur affadi, le goût et le bon sens offensés : d’où je conclus que si M. Auber n’a pas réussi entièrement dans l’édification d’une œuvre aussi compliquée que la Fiancée du roi de Garbe, il a mis dans ces trois actes suffisamment d’idées faciles, de grâce et de talent pour que sa belle vieillesse n’ait point à rougir de l’adieu qu’il vient de faire à ses nombreux admirateurs.

Mardi, 26 janvier, M. Mario a fait sa réapparition au Théâtre-Italien sous le costume d’Almaviva, qu’il porte encore avec assez d’élégance. Bien qu’il ressemble un peu à l’un de ces anciens héros de romans que Gavarni a immortalisés de son crayon, il faut convenir que M. Mario a gardé dans sa voix délabrée quelques notes charmantes qui rappellent ses beaux jours. Si ce chanteur émérite, qui fait encore les délices des vieilles Anglaises, était plus modeste, on pourrait lui pardonner de ne chanter que la moitié de son rôle et de bayer aux corneilles pendant l’exécution des morceaux d’ensemble où sa partie est prépondérante. C’est une négligence que le public devrait blâmer, s’il y avait un vrai public au Théâtre-Italien. Le rôle brillant de Rosine n’est pas fait pour Mlle Patti ; elle y est commune, et elle change tous les traits écrits par l’auteur pour mettre à la place de misérables ornemens qui lui sont conseillés par ses protecteurs intimes. Elle prête à cette aimable figure, qui nous est apparue si élégante sous les traits des premières cantatrices de l’Europe, des allures qui ne sont pas de bonne compagnie ; dans la scène où Bartolo reproche à Rosine d’avoir écrit, Mlle Patti trouve charmant de lui faire des grimaces comme une pensionnaire espiègle. À cette reprise du Barbier, un débutant, M. Scalese, s’est fait entendre dans le rôle de Bartolo, où il a été fort comique. Ce n’est plus un jeune homme que M. Scalese, mais il a une bonne figure, une bonne voix et beaucoup d’entrain. Il a été fort bien accueilli par ce public singulier devant qui on peut tout faire, puisqu’il tolère que Mlle Patti substitue les ravaudages de son beau-frère à la musique de Rossini, et qu’il ne s’aperçoit pas que le chef d’orchestre précipite tous les mouvemens et gâte l’exécution par une folle ardeur. Tant qu’il n’y aura pas au Théâtre-Italien un maestro, c’est-à-dire un chef supérieur qui préside à l’exécution générale, nous n’aurons que des représentations comme celle du Barbier de Séville