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elle se livre toujours à ces extravagances vocales qu’on a de la peine à lui pardonner. M. Nicolini a fort bien secondé Mlle Patti dans le rôle d’Elvino, qu’il a chanté avec goût. Mlle Patti nous coûte cher, puisqu’elle est la cause indirecte du départ de M. Fraschini, qui se rend à Madrid, dont le théâtre est aussi dirigé par M. Bagier. C’est une perte que les amateurs ressentent d’autant plus vivement que le Théâtre-Italien, cette année, n’offre pas un bien brillant spectacle. La troupe qu’a réunie la nouvelle direction est, à quelques exceptions près, composée d’élémens bien médiocres, et l’on comprend sans peine que les Parisiens, qu’on a jugés trop débonnaires, ne se montrent pas très empressés toujours aux cinq représentations que l’on donne chaque semaine à la salle Ventadour. Une grande faute surtout a été de supprimer le parterre, ce refuge d’une classe assez nombreuse d’amateurs qui ne veulent et ne peuvent pas payer quatorze francs pour entendre les cris et la voix fatiguée de Mlle La Grange.

Veut-on un exemple de ce que peut faire un homme intelligent avec une réunion d’artistes et de chanteurs modestes, qu’on aille au Théâtre-Lyrique les jours où l’on y donne Rigoletto, le meilleur ouvrage de Verdi, qu’on a arrangé pour la scène française. L’exécution en est relativement excellente. Un artiste distingué, M. Ismaël, qui possède une bonne voix et de la tenue dans le style, a rendu avec talent le rôle si difficile du père. Une femme fort distinguée aussi, Mlle de Maesen, qui a débuté à ce théâtre dans les Pêcheurs de perles de M. Bizet, a saisi l’esprit et la grâce du rôle de Gilda, dont elle exprime les diverses nuances avec une belle voix de soprano qu’elle dirige habilement. M. Monjauze n’est pas trop au-dessous du rôle du prince, dont il est chargé. Les chœurs, l’orchestre, forment un ensemble d’exécution que le Théâtre-Italien devrait bien imiter.

Nous disions, en commençant, que les théâtres lyriques n’avaient rien produit encore de nouveau, et que tous vivaient de leur ancien répertoire. Il y a cependant une réserve à faire. L’Opéra-Comique a donné la Fiancée du roi de Garbe, en trois actes et six tableaux, dit le libretto, et dont les paroles sont de Scribe et de M. de Saint-Georges. La musique, on le sait déjà, est l’œuvre laborieuse de l’auteur fécond et charmant à qui la France doit dix ou douze petits chefs-d’œuvre parmi lesquels il suffit de citer la Mllette, le Domino noir, Haydée, le Maçon, les Diamans de la couronne, Fra Diavolo, etc. Dans tous ces ouvrages, écrits avec une facilité rare, sous laquelle se dérobe une habileté de maître, M. Auber est un musicien vrai, aimable et quelquefois touchant. Aucune difficulté de forme ne l’arrête, et son imagination est, comme son esprit, gaie, aimable, amusante, quoique sans profondeur et sans grande originalité.

Le sujet de la Fiancée du roi de Garbe est bien connu. Boccace l’a traité en homme de génie, et La Fontaine l’a remanié à sa façon et en a tiré des effets tout différens. On se doute bien que le canevas laissé inachevé par Scribe et terminé par M. de Saint-Georges n’a aucun rapport avec les récits