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situation semblable à celle où elle s’est trouvée avant la guerre de trente ans. Avant le Mazarin qui réunira le congrès de Munster, donnons le temps d’agir au Richelieu dont la main vigoureuse pourra faire rentrer dans leur lit naturel les grands groupes des intérêts européens. Une particularité de ce temps-ci, c’est en effet qu’il semble appeler dans les combinaisons de la politique étrangère ces procédés anciens, cet art qui semble perdu d’associer les états, les peuples, les hommes dans une communauté réelle d’intérêts et dans la poursuite persévérante des mêmes entreprises. C’est un peu de cet art que quelques esprits attendaient des fortes prérogatives que le pouvoir possède aujourd’hui ; c’est un peu de cet art qu’ils eussent voulu voir appliquer, par exemple, à la conduite de la question polonaise. Ils croyaient que, de même qu’une coalition avait amené le partage de la Pologne, une autre coalition habilement nouée eût pu profiter des signes de vitalité qu’elle donnait avec tant d’héroïsme pour reconstituer la nation polonaise. Ils ne se figuraient pas que la France, puisqu’elle a voulu un pouvoir doué d’une force exceptionnelle, se contentât, en agitant la question polonaise, de faire de la politique étrangère à la façon parlementaire, c’est-à-dire en fournissant à la publicité un simple exercice de scolastique diplomatique, et qu’il pût lui suffire en une telle circonstance, à elle comme à l’Angleterre, de se montrer grand clerc, suivant le mot pittoresque emprunté si heureusement par M. Jules Favre à la langue du moyen âge.

La Belgique, que nous avons si souvent félicitée de l’heureuse exception qu’elle présentait au milieu de la confusion européenne, a voulu apparemment se mettre à la mode, et nous offre le spectacle d’une crise ministérielle prolongée et curieuse. Le ministère libéral a donné sa démission le 14 janvier, et il n’est point encore remplacé. Quelles sont les causes de la crise ministérielle, et comment finira-t-elle ? Il est plus aisé de répondre à la première question qu’à la seconde. Les libéraux belges reprochent au parti catholique d’avoir suivi une politique factieuse, d’avoir soulevé dans le pays une agitation factice, d’être allés même jusqu’à corrompre les électeurs à prix d’argent. À leur tour, les catholiques répondent que le ministère ne peut attribuer sa chute qu’à ses fautes politiques et aux alarmes qu’il a inspirées au sentiment religieux des populations. Puis viennent les Anversois, qui forment une sorte de tiers-parti d’intérêt local ; ceux-ci ne voient qu’une cause au renversement du cabinet, l’obstination avec laquelle il a repoussé les réclamations de la ville d’Anvers. Les reproches mutuels que s’adressent les libéraux et les catholiques sortent, en cette circonstance, de la banalité des controverses ordinaires de parti : la question qu’ils agitent est en effet de savoir à qui appartient la responsabilité de la situation actuelle, et qui doit par conséquent prendre la responsabilité du gouvernement. Un débat de ce genre est rare en pays constitutionnel : au lieu de se disputer le pouvoir, on se querelle pour ne pas le prendre ; au lieu de courir après les portefeuilles, c’est à qui ne sera pas ministre. Cette émulation d’une nouvelle sorte provient du point d’équilibre auquel les