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pays ne puisse renaître, favorisé comme il l’est par le voisinage de Cuba et de Porto-Rico. Peut-être l’avenir se chargera-t-il de montrer que la France est plus intéressée qu’elle ne se le figure à la réussite de cette épreuve.

Chacun comprendra pourquoi nous insistons sur cette situation des Antilles espagnoles : c’est là qu’est le point vulnérable. Ce n’est un mystère pour personne que la tendance de l’Américain à prendre pied dans ce riche archipel, pour s’y étendre ensuite comme la goutte d’huile sur l’étoffe où on l’a déposée, et certes ce ne sera pas aux possessions de la France ou de l’Angleterre qu’il s’attaquera de prime saut. Les trois îles dont nous venons de parler sont tout à la fois plus opulentes, plus voisines, plus grandes et plus faciles à entamer, car ce que nous avons dit de Cuba, nous eussions pu le dire de Haïti, où les prétentions des États-Unis sur la baie de Samana se reproduisent en quelque sorte périodiquement. Notre rôle doit-il être de nous opposer à toute tentative d’envahissement de ce genre ? Oui, sans nul doute. Il ne s’agit pas ici en effet d’une Australie ou d’un Canada destinés à se séparer au jour de l’indépendance, comme le fruit mûr se détache de la branche nourricière, et le point de vue économique n’est pas le seul sous lequel il faille envisager une colonie dans ses relations avec la métropole. Rien n’est plus instructif à cet égard que la prévoyance infinie avec laquelle, depuis tant de générations, les hommes d’état de la Grande-Bretagne ont échelonné sur le globe les stations navales et militaires de la mère-patrie, et si, grâce à ses révolutions, la France est sous ce rapport bien en arrière de sa rivale, ce doit lui être un motif pour mieux apprécier la valeur des deux points qu’elle a gardés aux Antilles. Ne fussent-ils pour elle que de coûteuses possessions d’outre-mer, et nous avons essayé de prouver qu’il n’en était rien, il ne lui importerait pas moins de les conserver précieusement, afin de n’être pas prise au dépourvu le jour de la lutte. Ce n’est pas un simple port de ravitaillement que nous devrions avoir à Fort-de-France, mais bien, comme les Anglais à la Jamaïque, aux Bermudes, à Halifax, un véritable arsenal maritime auquel nous cesserions de marchander quelques fortifications à peine suffisantes. N’oublions pas, selon la juste remarque d’un créole de la Martinique, que de tous les traités par lesquels la France a mis fin à ses luttes sur l’Océan avec l’Angleterre, deux seulement lui ont été avantageux et honorables, celui de Breda et celui de Versailles, et qu’en 1667 comme en 1783 nos succès dans la mer des Antilles pesèrent glorieusement dans la balance.

Mais laissons ces considérations qui nous éloignent de notre sujet, et qui d’ailleurs n’ont besoin ni de développement, ni de preuves