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en même temps son budget se traduisait en excédant, pendant que la Guadeloupe se débattait sous le poids d’une dette écrasante, beaucoup d’esprits ne voulurent voir que ce résultat, sans se préoccuper assez de la valeur des moyens qui l’avaient amené.

C’est qu’effectivement la question financière est vitale pour ces petites îles, où les dépenses balancent les recettes dans les étroites limites d’un budget de 3 à 4 millions. Tout arriéré peut alors rapidement devenir sérieux, et parfois il arrive que la métropole saisit mal à propos ces momens de gêne pour redoubler d’exigence. La loi du 3 juillet 1861 rendra ces complications beaucoup plus rares et même tout à fait impossibles par la suite, en même temps qu’elle ne saurait manquer de ramener l’abondance dans les caisses coloniales par l’essor qu’elle imprimera au commerce. Peu de personnes se font une idée nette de l’immense développement que devra prendre la production du sucre quand l’usage en deviendra vraiment général au lieu d’être restreint, comme il l’est aujourd’hui, aux classes aisées de la société. Une statistique faite avec soin il y a dix ans, c’est-à-dire lorsque les barrières prohibitives commençaient à peine à s’entr’ouvrir chez les peuples les plus avancés, cette statistique portait l’ensemble des sucres de toute provenance fabriqués dans le monde entier à 2,342,722 tonnes de 1,000 kilogrammes, dont la moitié environ était consommée par l’Europe, les États-Unis et quelques pays voisins. La betterave n’entrait guère dans ce formidable total que pour 165,000 tonnes. Eh bien ! il est permis de prévoir sans nulle exagération le jour où ce chiffre sera augmenté au moins de moitié ; lorsque l’on songe que la consommation moyenne par tête, qui n’est en France que de 4 à 5 kilogrammes, est cinq fois plus forte à La Havane par exemple, et qu’elle a plus que doublé en douze ans chez les Anglais par le simple abaissement des droits d’introduction. Il est vrai que nos îles lilliputiennes, ne doivent prétendre qu’à une bien modeste part de ce grand développement ; mais tout est relatif : qu’elles songent seulement à la vaste étendue de savanes et de terres en friche qu’elles pourront mettre en culture à mesure que le travail renaîtra[1], et qu’elles reprennent courage en se rappelant qu’il a suffi de vingt-cinq ans aux Antilles espagnoles pour quintupler leur production dans des conditions moins libérales que n’en établit aujourd’hui la nouvelle loi.

Ce n’est pas tout. L’effet naturel du pacte colonial et du monopole qui en résultait avait été de surexciter au-delà de toute mesure

  1. La Martinique, sur 100,000 hectares, en cultive 30,000 seulement, qui pourraient être portés à 40,000, et même au-delà ; mais la Guadeloupe, dont la superficie, y compris ses dépendances, s’élève à 165,000 hectares, n’en cultive que 24,000 !