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en pouvait conduire l’application. Quant à l’importance de la mesure en elle-même, il faut bien reconnaître qu’elle ne grève le budget que d’une somme minime, 3 ou 4 millions ; on n’en peut dire autant de toutes les combinaisons du système protecteur. Nul ne trouvera mauvais qu’un gouvernement s’impose certains sacrifices pour augmenter le nombre de ses marins : il y a là une question d’honneur national dans laquelle l’économiste doit s’effacer au besoin derrière l’homme d’état ; mais le premier reprend ses droits dès qu’il s’agit de déterminer dans quelles conditions ces sacrifices peuvent être faits le plus avantageusement. — Je sers le plus grand des intérêts publics, j’affermis la puissance militaire du pays, et je vous donne quinze mille matelots pour trois pauvres millions ! — s’écrie l’armateur. Éclairé par les faits, le bon sens répond qu’il n’en est rien, qu’il n’en peut rien être, et que ces trois millions sont tout simplement partagés entre vingt-cinq ou trente maisons de Dieppe, Granville et Saint-Malo, que si du reste le point de vue militaire doit dominer aussi essentiellement la question maritime, il serait plus rationnel d’employer la subvention dont il s’agit pour améliorer directement la situation pécuniaire des marins au service de l’état. Cependant il faut voir la chose de plus haut. S’il est vrai que la population maritime de la France soit loin de s’accroître, comme on doit le désirer et comme on est en droit de l’attendre ; s’il est vrai que, sur un sol où ne s’est affaibli en rien le prestige de l’honneur militaire, les gens de mer seuls envisagent avec une répugnance non déguisée les quelques années que le pays réclame de chacun d’eux, n’en cherchons pas la cause ailleurs que dans le régime inique qui les rejette hors du droit commun, n’en accusons que cette inscription maritime que l’on pourrait définir en deux mots : le moyen d’avoir des matelots sans les payer. C’est là qu’est le mal. Déjà l’on a tenté d’en amoindrir les effets ; espérons qu’il sera donné à notre génération de le voir disparaître.

On eut pourtant en 1856 la singulière idée d’acclimater aux Antilles cette inscription maritime, dont les registres en 1861 comprenaient 2,514 hommes à la Martinique et 3,596 à la Guadeloupe ; mais il faut se garder de prendre ces chiffres au sérieux, car le nombre des marins réels des deux îles est tout à fait insignifiant. Avoir par hasard mis le pied dans une pirogue ou halé de loin en loin quelques filets à terre est un motif suffisant pour que le nègre soit inscrit ; mais il y a cette différence entre lui et le matelot des côtes de France qu’il s’accommode à merveille de sa position. Les charges en effet en sont nulles, le service naval ne réclamant que très peu de gens de couleur, embarqués exclusivement sur les bâtimens de la division des Antilles, car il est interdit de les faire sortir