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qui n’en ont pas le moindre soupçon. On ne se serait pas imaginé que la philologie comparée allait quelque jour fortifier la puissance anglaise dans les Indes. C’est pourtant ce qui arrive, et on ne peut plus contester aujourd’hui que les Anglais ne soient dans l’immense péninsule les alliés par le sang des populations brahmaniques, auxquelles ils ont donné un gouvernement régulier et en somme bienfaisant, surtout si on le compare aux gouvernemens arabes et mongols qui ont avant eux opprimé les descendans des Aryas. On prétend même que déjà les Hindous les plus éclairés reconnaissent cette vérité, qui met leur amour-propre à l’aise, et se montrent bien plus disposés qu’auparavant à faire cause commune avec les Européens contre leurs anciens envahisseurs. Le Cosaque, le Tartare, le Mongol, voilà l’éternel ennemi de notre race.

On peut aussi prévoir le moment où la science biblique saura largement profiter des découvertes opérées par ces sciences qu’on appelait profanes du temps qu’on regardait le savoir humain comme toujours plus ou moins contraire A la religion. On s’éloigne heureusement de ce point de vue tous les jours. Quant au sujet spécial qui nous occupe, on peut assurer que la Genèse ne perdra rien, comme livre religieux, comme document à jamais vénérable des plus anciens souvenirs que la race monothéiste ait d’elle-même, à ce que ses précieuses réminiscences des origines humaines soient complétées et éclaircies par des lumières puisées à d’autres sources. L’essentiel, c’est qu’on se dépouille des préjugés qui égarèrent longtemps les historiens aussi bien que les théologiens, ceux-ci décidés d’avance à nier tout ce qui ne cadre pas avec le récit hébreu, ceux-là non moins désireux de le trouver en défaut. Comparons en toute indépendance la tradition sémitique et la tradition aryenne, expliquons-les l’une par l’autre, et nous aurons deux témoignages au lieu d’un pour nous renseigner, ce qui n’a jamais nui. En particulier, ne demandons pas aux fragmens plus soudés les uns aux autres que réellement fondus par l’auteur de la Genèse une précision scientifique, une rigueur de déduction qui n’y sont pas et ne pouvaient y être. Ainsi, dans la pensée de l’écrivain hébreu, le déluge a été universel, et c’est par un étrange abus des textes qu’on a tâché de nos jours de réduire à un déluge partiel l’épouvantable cataclysme décrit au chapitre vu. Toute chair qui se mouvait sur la terre expira, est-il écrit, ce qui n’empêche pas qu’au chapitre IV, en exposant la généalogie des Caïnites, le même auteur ne raconte les origines de peuples nomades descendans de Caïn, et ne se les représente comme existant toujours sur la terre, tandis que logiquement ils devraient en avoir été balayés par le déluge, auquel survécut seule une famille descendant de Seth.