Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/726

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne vois pas très bien comment on peut échapper à la conclusion que « l’être céleste » est l’équivalent exact de « l’être lumineux. » Le déva aryen est donc toujours un phénomène naturel personnifié, rien de plus, et si un autre nom védique de Dieu, Bhaga, congénère de l’ancien nom slave Bogu, qui veut dire le vénérable et l’adorable, si ce, nom n’implique pas directement un culte de la nature, on m’accordera, bien qu’il n’implique pas non plus le contraire.

N’oublie-t-on pas, en discutant ainsi les noms aryens de Dieu qui nous sont connus, qu’en définitive nous ne pouvons arriver à rien de primitif par cette voie ? Il est évident et pleinement admis par M. Pictet que nos pères étaient polythéistes avant leur séparation ; mais ce polythéisme ne datait pas de la veille. Il avait eu déjà une histoire, et il est tout simple que dans le développement historique d’une religion polythéiste il y ait comme des soupçons, des germes, des pressentimens de, monothéisme. Du moment que l’on reconnaît plusieurs êtres divins, on admet entre eux tous une communauté de nature divine. De là des adjectifs tels que lumineux, adorables, vivans, puissans, qui deviennent par la suite des substantifs, comme notre mot Dieu lui-même. Le ciel, personnifié et objet d’adoration, affecte vite les apparences d’un Dieu suprême, élevé au-dessus de tous les autres et maître de l’arme irrésistible, le tonnerre. Aussi dans la plupart des mythologies le ciel est-il ce qu’il est dans la mythologie grecque, le Jupiter, le père souverain des dieux et des hommes. Enfin il est clair que l’esprit humain, à mesure qu’il observe et réfléchit, obéissant à cette impérieuse loi, cachée au fond de son être, de la recherche logique de l’unité, s’élève de plus en plus vers le monothéisme ; mais ce mouvement est bien lent, bien retardé par le prestige des traditions et des habitudes, et il ne faut pas mettre au commencement ce qui n’a pu avoir lieu que tout à la fin. L’enfant remarque très vite le mouvement d’un objet, l’éclat d’un autre, et tous les phénomènes de détail en un mot qui frappent ses yeux ; mais il n’arrive que tard à une vue d’ensemble et à l’idée d’une harmonie générale des choses. Le monothéisme antique, là où il est réel, est nécessairement joint au sentiment qu’il est seul légitime. « Tu n’auras point d’autre Dieu devant ma face, » voilà le premier commandement de toute loi religieuse fondée sur le monothéisme, et il s’agit bien moins alors de savoir si les autres dieux existent ou non que de savoir s’il est licite de les adorer. Aucune intolérance de ce genre ne s’est montrée dans l’histoire ancienne de notre race : elle a bien persécuté dans son propre sein ceux qui, à ses yeux, n’adoraient pas assez, Socrate, les bouddhistes, les juifs, les chrétiens ; mais jamais elle