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fait naître chez ceux qui l’ont remportée, et qu’elle ne pourra pas réaliser. D’ordinaire, tant qu’on n’est pas le plus fort et qu’on veut se faire des partisans, on n’épargne pas les promesses ; mais le jour qu’on arrive au pouvoir, il est bien difficile de tenir tous les engagemens qu’on a pris, et ces beaux programmes d’opposition qu’on a acceptés et répandus deviennent alors de grands embarras. César était le chef reconnu du parti démocratique ; c’est de là que lui venait sa force. « Je viens, avait-il dit en entrant en Italie, je viens rendre la liberté à la république asservie par une poignée d’aristocrates. » Or le parti démocratique, dont il se proclamait ainsi le mandataire, avait son programme tout préparé. Ce n’était plus tout à fait celui des Gracques. Après un siècle de luttes souvent sanglantes, les haines s’étaient envenimées, et les folles résistances de l’aristocratie avaient rendu le peuple plus exigeant. Chacun des chefs qui, depuis Caïus Gracchus, s’étaient proposés à le conduire, afin de l’entraîner plus sûrement à sa suite, avait formulé pour lui quelque demande nouvelle. Clodius avait prétendu établir le droit illimité d’association et gouverner la république par les sociétés secrètes. Catilina promettait la confiscation et le pillage ; aussi son souvenir était-il resté très populaire ; Cicéron parle des repas funèbres qu’on célébrait en son honneur et des fleurs dont on couvrait son tombeau. César, qui se présentait pour leur succéder, ne pouvait pas tout à fait répudier leur héritage ; il fallait bien qu’il promît qu’il achèverait leur œuvre et satisferait aux vœux de la démocratie. En ce moment, elle ne paraissait pas se soucier beaucoup de réformes politiques : elle avait le libre accès à toutes les dignités, elle avait le droit de suffrage, dont elle trafiquait pour vivre ; ce qu’elle voulait, c’était une révolution sociale. Être nourri sans rien faire aux frais de l’état, au moyen de distributions gratuites très fréquemment répétées, s’approprier les meilleures terres des alliés en envoyant des colonies dans les villes italiennes les plus riches ; arriver à une sorte de partage des biens, sous prétexte de reprendre à l’aristocratie le domaine public qu’elle s’était approprié, tel était l’idéal ordinaire des plébéiens ; mais ce qu’ils demandaient avec le plus d’insistance, ce qui était devenu le mot d’ordre de tout ce parti, c’était l’abolition des dettes, ou, comme on disait, la destruction des registres des créanciers (labulœ novœ), c’est-à-dire la violation autorisée de la foi publique, et la banqueroute générale décrétée par la loi. Ce programme, si violent qu’il fût, César avait paru l’accepter en se proclamant le chef de la démocratie. Tant que la lutte fut douteuse, il s’était bien gardé de faire des réserves, de peur d’affaiblir son parti par des divisions. Aussi croyait-on que, dès qu’il serait victorieux, il se mettrait à l’œuvre pour le réaliser.