Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être invoqués contre lui, et peut-être cet audacieux système de défense réussirait-il, n’était la réapparition imprévue de Noah Skinner, l’ancien commis et l’ancien complice du banquier. Tombé dans une misère profonde, il profite d’une occasion qui lui semble admirable pour frapper d’un nouvel impôt l’opulence mal acquise de Richard Hardie. Celui-ci résiste de son mieux à ces exigences dont il se croyait à jamais délivré ; mais Skinner a dans les mains un argument décisif : c’est le reçu donné à David Dodd, ce reçu échappé de la défaillante étreinte du capitaine et que le bandit en sous-ordre s’est furtivement approprié. Pour recouvrer ce papier, pour anéantir cette preuve accablante, Richard Hardie, qui descend toujours la pente fatale, n’hésite pas à vouloir assassiner Skinner : combinaison malheureuse dont il aurait certainement à se repentir, si son commis, sorti sain et sauf de l’aventure, ne trépassait subitement asphyxié dans le misérable grenier qu’il habite. C’est dans ce grenier et autour du cadavre desséché de Skinner que le dénoûment s’accomplit assez à temps pour éclairer la justice encore indécise. Le reçu des quatorze mille livres est retrouvé entre les doigts du mort, et l’honnête capitaine Dodd, survenu comme par miracle, se rencontre là tout à point pour recueillir ce précieux document qui le remet en possession de sa fortune : non certes que Richard Hardie se soit refusé l’usage des deniers volés, non qu’il ne les ait plusieurs fois compromis dans ses hasardeuses spéculations ; mais le jeu a ses caprices, et un merveilleux coup de bourse qui l’enrichit brusquement le met à même de se libérer en sauvant bien ou mal les apparences.

M. Charles Reade, nous lui devons cet aveu, est au nombre de ces rares écrivains dont les œuvres se prêtent mal à une analyse, quelque exacte qu’on veuille la faire. S’il se distingue au milieu des conteurs modernes de l’Angleterre, c’est par l’allure spéciale qu’il sait donner au récit, par le cachet de son style incisif et pittoresque, par les familiarités agaçantes qu’il se permet, par le sans-gêne tout shakspearien de ses métaphores, par l’étourdissante témérité de ses paradoxes jetés à la volée, par le pêle-mêle savant où il noie ses combinaisons les plus improbables, par la verve de ses dialogues, et de ses divagations humoristiques, par un amalgame surprenant de qualités qu’il gâte à plaisir, de défauts qu’il sait rendre attrayans. Grammairien consommé, il se plaît aux incorrections archaïques, et ne se refuse pas en certaines circonstances le droit de parler l’argot le plus vil. Toute matière lui est bonne pour déployer, avec plus ou moins d’à-propos et d’une manière plus ou moins judicieuse, un luxe d’érudition qui doit confondre l’esprit du lecteur vulgaire. Rien n’est plus curieux par exemple, dans Hard