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Ceux qui lui sont le plus ennemis sont bien forcés de reconnaître que dans ce qu’il voulait détruire tout ne méritait pas d’être conservé. La révolution qu’il méditait avait des motifs sérieux, il était naturel qu’elle eût aussi des partisans sincères. Comment donc se fait-il que, parmi ceux qui l’aidèrent à changer un régime dont beaucoup se plaignaient, dont tout le monde avait souffert, il y en ait si peu qui semblent agir par conviction, et que presque tous au contraire ne soient que des conspirateurs à gages travaillant sans sincérité pour un homme qu’ils n’aiment pas et à une œuvre qu’ils jugent mauvaise ?

Peut-être faut-il expliquer la composition du parti de César par les moyens ordinaires qu’il prenait pour le recruter. On ne voit pas que lorsqu’il voulait gagner quelqu’un à sa cause, il ait perdu son temps à lui démontrer les défauts du gouvernement ancien et les mérites de celui qu’il voulait mettre à sa place. Il employait des argumens plus simples et plus sûrs : il payait. C’était bien connaître les hommes de son temps, et il ne se trompait pas en pensant que, dans une société toute livrée au luxe et aux plaisirs, les croyances affaiblies ne laissaient plus de place qu’aux intérêts. Il organisa donc sans scrupule un vaste système de corruption. La Gaule lui en fournit les moyens. Il la pilla aussi vigoureusement qu’il l’avait vaincue, « s’emparant, dit Suétone, de tout ce qu’il trouvait dans les temples des dieux, et prenant les villes d’assaut, moins pour les punir que pour avoir un prétexte de les dépouiller. » C’est avec cet argent qu’il se faisait des partisans. Ceux qui venaient le voir ne s’en allaient jamais les mains vides. Il ne négligeait même pas de faire des présens aux esclaves et aux affranchis qui avaient quelque influence sur leurs maîtres. Pendant qu’il était absent de Rome, l’habile Espagnol Balbus et le banquier Oppius, qui étaient ses hommes d’affaires, distribuaient des largesses en son nom : ils venaient discrètement au secours des sénateurs embarrassés ; ils se faisaient les trésoriers des jeunes gens de grande famille qui avaient épuisé les ressources paternelles. Ils prêtaient sans intérêt, mais on savait bien par quels services il faudrait un jour se libérer. C’est ainsi qu’ils achetèrent Curion, qui se fit payer très cher : il avait plus de 60 millions de sesterces de dettes (12 millions de francs). Cælius et Dolabella, qui n’étaient guère mieux dans leurs affaires, furent probablement conquis par les mêmes moyens. Jamais corruption ne s’étendit sur une plus large échelle et ne s’étala avec plus d’impudence. Presque tous les ans, pendant l’hiver, César revenait dans la Gaule cisalpine avec les trésors des Gaulois. Alors le marché était ouvert, et les grands personnages arrivaient à la file. Un jour, à Lucques, il en vint tant à la fois qu’on compta