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par ordre de ce despote femelle, que la beauté, le courage d’Alfred ont vivement intéressée, mais qui, jusque-là maîtresse d’elle-même, n’avait rien laissé entrevoir de cette passion naissante. Maintenant que le torrent a rompu sa digue, le malheureux Alfred n’aura plus seulement contre lui l’inflexible rancune de son père, les sordides calculs du propriétaire de Silverton, la grossière ignorance du médecin, la férocité blasée des subalternes, l’apathie des commissaires officiels qui viennent inspecter l’asile, et qui auraient pour devoir de lui faire rendre justice : un amour jaloux, égoïste, vainement combattu par celle qui le ressent, vainement repoussé par celui qui en est l’objet, va désormais peser sur sa destinée. Cette main de femme qui a plus d’une fois allégé sa chaîne, et qui aurait pu l’aider à la briser, la rive maintenant autour de lui. Plus de salut pour Alfred, s’il ne réussit à s’évader ! Il y travaillera donc, et de tout cœur ; mais au moment où la complicité d’une des gardiennes, rivale innocente de mistress Archbold, va lui ouvrir les portes de l’asile, les recherches assidues dont il est l’objet déterminent son père à le faire changer de résidence. On le transfère à Londres, dans l’établissement d’un spécialiste distingué, celui-là même qui très consciencieusement l’a déclaré fou.

Ici plus de contrainte physique, plus de violence, plus de mauvais traitemens, mais en revanche une surveillance exacte et tout le poids d’une grande autorité médicale. S’échapper est impossible, et on doit croire tout aussi difficile de faire admettre la faillibilité du docteur Wycherley. Il faut donc, acceptant la situation comme elle est, se plier à ses exigences et tirer parti des avantages qu’elle offre. Le docteur, animé des meilleures intentions et placé au-dessus de toute corruption pécuniaire, ne refuserait pas la liberté à son malade, si celui-ci parvenait à le convaincre de sa guérison. Il faut pour cela qu’Alfred, dont le docteur admire l’intelligence, se résigne à « n’être plus fou, » en d’autres termes, à reconnaître qu’il l’a été : sacrifice pénible auquel il souscrit non sans quelque humiliation, et qui est sur le point de recevoir sa récompense, lorsqu’un nouvel ordre de translation lui enlève le bénéfice de cette manœuvre diplomatique ! De chez le docteur Wycherley, il passe à Drayton-House, chez le docteur Wolf, de chez un honnête homme absorbé par ses préventions chez un misérable hypocrite, dont l’intérêt mercenaire est l’unique loi, et dans le salon de ce dernier, présenté à une belle dame qui paraît en être la reine, il reconnaît en elle… mistress Archbold !

Avec cette femme énergique et passionnée va recommencer une lutte où succomberait infailliblement ce nouveau Joseph, moins bien défendu qu’il ne l’est par le souvenir de Julia. Souveraine maîtresse