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Richard Hardie. Lui seul ne connaît plus le repos. Maintenant que sa faillite, ouvertement déclarée, l’a délivré de ses créanciers pour la plupart réduits à la misère, maintenant qu’il s’est assuré ou qu’il a cru s’assurer par un sacrifice considérable le silence éternel de Noah Skinner, il semble qu’il pourrait, profitant de la trêve qu’on lui laisse, renoncer à la lutte engagée avec son fils ; mais il est le débiteur d’Alfred, et Alfred est maître d’un secret terrible ; Alfred va devenir par son mariage rallié, au besoin l’instrument d’une famille que sa conscience lui reproche d’avoir lésée, et qu’il hait parce qu’elle a le droit de le haïr. À tout événement, Richard s’est ménagé contre son fils une arme terrible, et puisque l’imprudent s’obstine à épouser Julia, le moment est venu de s’en servir.

De fait, le jour même fixé pour la noce ; et avant que la cérémonie n’ait eu lieu, sorti de chez lui sur la foi d’un billet qui semblait lui promettre des renseignemens précis sur le sort des quatorze mille livres sterling, le jeune fiancé disparaît subitement.


II

Ici le roman perd tout à coup le caractère inoffensif de ces fictions offertes chaque jour en pâture à la vaine curiosité des esprits futiles. Inspiré sans doute par le souvenir du livre qui a le plus contribué à sa réputation (It is never too late to mend)[1], l’auteur de Hard Cash fulmine un réquisitoire passionné contre les établissemens publics ou particuliers destinés au traitement des maladies mentales. Nous voyons ainsi défiler devant nous une série de tableaux trop horribles, il faut l’espérer, pour qu’on puisse les croire fidèles, trop précis en revanche, trop minutieusement détaillés, tracés d’une main trop sûre et trop ferme, pour qu’on en méconnaisse le caractère anecdotique, l’authenticité partielle. Il y a là, — comme il arrive presque toujours, quand le roman touche à une question d’économie sociale, — un manque absolu de proportions entre les abus dénoncés et le relief que leur prête l’imagination échauffée de l’écrivain. Charles Dickens lorsqu’il dénonçait les misères de Dotheboys-Hall, mistress Beecher Stowe lorsqu’elle accumulait sur la tête de l’oncle Tom toutes les douleurs de l’esclavage, ne procédaient pas autrement que M. Reade alors qu’il décrit les différens asiles où le malheureux Alfred Hardie est enfermé tour à tour, et comme il a déployé dans cette peinture un talent égal au leur, comme il s’est livré à des études qui paraissent aussi consciencieuses,

  1. Ce roman, dont la Revue a rendu compte dans sa livraison du 15 septembre 1858, renfermait une peinture éloquente des abus introduits dans le nouveau régime pénitentiaire de la Grande-Bretagne.