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s’il y est réduit. D’un homme de cœur les quatorze mille livres sterling n’ont pas fait un lâche ; tout au plus le détournent-elles d’en venir aux mains sans une nécessité bien démontrée. Lorsqu’il s’y voit contraint par les habiles manœuvres de l’ennemi et quand tous ses préparatifs de combat sont terminés, le capitaine mande dans sa cabine deux des principaux passagers, dont l’un est son ami de vieille date, et après leur avoir fait connaître la nature du trésor qu’il porte cousu dans les plis de sa chemise de flanelle, il obtient d’eux la promesse que si malheur arrivait, ils veilleront sur le précieux héritage. Ceci convenu, il engage la lutte, qu’il soutient héroïquement contre les deux pirates tour à tour entrés en lice, et à l’issue de laquelle il tombe gravement blessé sur la dunette de son vaisseau victorieux.

Le portefeuille cependant est bien loin d’être hors d’affaire. C’est d’abord un Indien traître et voleur qui, après avoir pénétré le secret du capitaine, se glisse de nuit dans la cabine où la fièvre le tient cloué, et tente de le dépouiller pendant un de ses accès de délire. La tentative heureusement ne réussit pas. Dodd une fois guéri, c’est une bourrasque subite qui surprend l’Agra au sud de l’île Maurice et risque fort de le couler à fond. Le malheureux vaisseau talonne et fait eau de tous côtés ; la gueule de ses caronades plonge sous les lames, les mâts craquent et se brisent l’un après l’autre ; une fois à la mer, retenus par leurs agrès, ils battent comme autant de béliers les flancs du navire ; la barre du gouvernail est brisée ; la destruction semble imminente, Dodd lui-même est à bout de ressources. Retiré dans sa cabine, il ne songe plus qu’à épargner à ceux qu’il aime les funestes conséquences du malheur qui le frappe. Une bouteille soigneusement bouchée, ficelée, goudronnée, étiquetée, reçoit le précieux dépôt que le portefeuille enfermait naguère ; elle est dans la poche du capitaine, lorsqu’il remonte sur le pont pour profiter d’une dernière chance de salut qu’il a cru entrevoir. C’est à ce moment même qu’un coup de mer vient balayer le pont et y laisse à grand’peine le malheureux Dodd solidement cramponné à un débris de mât. C’est là le dernier effort de la rafale expirante ; mais lorsque, dans un transport reconnaissant, le capitaine s’agenouille pour rendre grâces à Dieu de son assistance inespérée, il s’aperçoit que la bouteille a disparu. On la cherche en vain de tous côtés, derrière tous les obstacles qui ont pu la retenir ; — à moins d’un nouveau miracle, les quatorze mille livres sterling ne se retrouveront plus.

Mais le miracle s’accomplira, gardez-vous d’en douter : la baguette magique des romanciers en a fait bien d’autres. Rentré par un accident tout à fait fortuit en possession de la précieuse bouteille,