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tient aussi à cette vie ordinaire qu’on fait au clergé, vie un peu contrainte et bornée de toutes parts, où le caractère risque de se rétrécir ou de s’affaisser, et où l’indépendance qui vient plus tard n’efface pas ce pli primitif. L’église ne perdrait rien certainement à ce qu’un peu plus de mouvement et de liberté entrât dans cette éducation et dans cette vie, à ce que le prêtre eût sa part des pensées de son siècle, de telle façon que toute parole libre ou hardie ne ressemblât pas aussitôt à une révolte ou à une exception vue d’un œil défiant.

Ce qui est vrai aussi et ce qui est grave dans ce livre du Maudit, ce qui n’est point sans répondre à une certaine situation du moment, c’est cette peinture du développement croissant des ordres monastiques venant imprimer le sceau de leur esprit, de leurs idées, de leurs tendances au mouvement religieux de notre temps, et substituant leur action à celle du clergé séculier, dominant même ce clergé sur bien des points. La peinture peut être exagérée et acerbe, au fond elle n’est pas tout à fait une fiction. Depuis dix ans et plus, nous avons vu grandir et se développer ce mouvement, cette sorte d’envahissement méthodique et régulier des ordres religieux, et principalement des jésuites, dans les chaires, dans l’enseignement ecclésiastique, dans l’éducation laïque. Il y a eu même, en certains momens, une vraie faveur et peut-être quelque chose qui ressemble à de la mode. On s’est piqué d’émulation dans le monde pour les jésuites. Ce sont là les vrais maîtres de la jeunesse, dit-on, les vrais sénateurs de Dieu, les vrais guides des âmes, les prêtres séculiers ne savent pas diriger les consciences, et peut-être plus d’un zélé ne désavouerait pas encore ce que dit un des personnages du Maudit, que « les prêtres ordinaires ne sont bons qu’à fournir des sacristains aux jésuites. » Que ces tendances, là où elles dominent, où elles sont favorisées, créent pour le clergé une situation difficile, pénible, pleine de froissemens secrets, et que ce clergé souffre quelquefois de se voir envahi dans ses chaires, dans ses églises, c’est possible, et c’est même certain ; mais c’est dans l’éducation particulièrement que cette invasion est la plus caractéristique. Depuis quinze ans, cet ordre puissant des jésuites a retrouvé une singulière énergie de développement et des ressources égales à son énergie. Ses maisons d’enseignement se sont multipliées. Il y en a aujourd’hui à Paris, à Toulouse, à Bordeaux, à Poitiers, à Avignon, à Mende, à Vannes, à Metz. Il y en a bien d’autres encore, et toutes sont peuplées de jeunesse, florissantes, quelquefois subies, presque toujours énergiquement soutenues. Elles rivalisent d’influence et de prospérité avec celles de l’état lui-même, et c’est à coup sûr l’un des phénomènes contemporains les plus frappans que cette vigoureuse rentrée