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par leur nombre et la violence de leurs aiguillons. Leurs yeux, d’une grosseur démesurée, expliquent leurs habitudes nocturnes et l’instinct qui les porte à fuir le jour. Dans mes heures d’insomnie, je me suis souvent amusé à étudier l’effet que produit la lumière sur ces animaux. À peine la bougie est-elle éteinte que des légions de gros insectes plats, sortis de toutes les fissures des murs, des portes et du plancher, se promènent dans votre chambre, sur vos meubles et jusque sur votre lit. Le bruit d’une allumette les fait disparaître avec une promptitude merveilleuse. C’est à peine si vous avez eu le temps d’entrevoir des ombres grises ou noires s’évanouir le long des murs. La première fois que je me vis le jouet de ces apparitions insaisissables, je fus longtemps avant de reconnaître le signalement de mes visiteurs. Après plusieurs essais inutiles, j’imaginai de placer à terre, sur le bord de mon lit, quelques miettes de rosea (biscuit), dont ces bêtes sont très friandes ; par-dessus je posai une planche que je soulevai légèrement par un bout à l’aide d’une corde, et je soufflai ma bougie. Quelques secondes après, dès que je compris, à certain bruissement, que les maraudeurs étaient à l’œuvre, j’abandonnai le fil. La planche, tombant de tout son poids, atteignit une douzaine de délinquans, et je vis que j’avais affaire à des blattes. Malheureusement pour le colon, tous les diptères n’ont pas le nerf optique aussi sensible à la lumière. Pendant les nuits chaudes de l’été, quand on laisse les portes et les fenêtres largement ouvertes pour respirer à l’aise la fraîcheur du dehors, on aperçoit, au bout de quelques minutes, que la lampe est voilée par des myriades de maringouins ; en même temps un bourdonnement assourdissant envahit la salle. Impossible de goûter un instant de sommeil à moins d’être abrité par un moustiquaire. Cette précaution elle-même n’est pas toujours suffisante, car quelques-uns de ces animalcules sont si ténus qu’ils parviennent à passer à travers les mailles de la gaze. Cette facilité qu’ont certaines de ces bestioles à traverser les tissus tient même parfois du prodige. Un colon allemand de Rio-Janeiro me racontait un jour avec une parfaite bonne foi qu’il avait vu des fourmis naître spontanément dans les fromages qu’il préparait. Sa croyance se fondait sur ce qu’après avoir en mainte occasion ficelé une serviette autour d’un pot de lait caillé, il avait trouvé le lendemain ses provisions envahies par ces fourmis microscopiques, preuve évidente qu’elles venaient de naître. Me voyant hocher la tête à son récit, il se piqua d’honneur et m’offrit de répéter l’expérience devant moi. J’acceptai, à la condition toutefois qu’il placerait son pot dans un vase contenant un peu d’eau. Il va sans dire que le lendemain le fromage était intact ; seulement l’eau du vase contenait une assez grande quantité de cadavres de fourmis de toutes