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il avait attaqué quelques peuplades voisines pour se donner des titres au triomphe. Il comptait sur un succès facile, mais comme il s’occupait plus de ses plaisirs que de la guerre, il s’était fait battre honteusement. Cælius, qui l’attaqua à son retour, racontait ou plutôt imaginait, dans son plaidoyer, une de ces orgies pendant lesquelles le général ivre-mort se laissait surprendre par l’ennemi :


« Des femmes, ses officiers ordinaires, remplissaient la salle du festin, étendues sur tous les lits, ou couchées çà et là par terre. Quand elles apprennent que l’ennemi arrive, à moitié mortes de peur, elles essaient de réveiller Antoine ; elles crient son nom, elles le soulèvent par le cou. Quelques-unes murmurent des douceurs à son oreille, d’autres le traitent plus rudement et vont jusqu’à le frapper ; mais lui, qui reconnaît leurs voix et leurs attouchemens, tend les bras par habitude, saisit et veut embrasser la première qu’il rencontre. Il ne peut ni dormir, tant on crie pour l’éveiller, ni s’éveiller tant il est ivre. Enfin, sans pouvoir secouer ce demi-sommeil, il est emporté sur les bras de ses centurions et de ses maîtresses. »


Quand on possède un talent si acre et si incisif, il est naturel qu’on ait l’humeur agressive. Aussi rien ne convenait-il mieux à Cælius que les luttes personnelles. Quoique le métier d’accusateur ne fût pas très estimé à Rome, il ne perdait aucune occasion d’accuser. Il aimait et recherchait la discussion, parce qu’il était sûr d’y réussir, et qu’il avait de ces attaques violentes auxquelles on ne pouvait pas résistera II souhaitait d’être contredit, car la contradiction l’animait et lui donnait des forces. Sénèque raconte qu’un jour un de ses cliens, homme d’humeur pacifique, et qui sans doute avait souffert de ses brusqueries, se contentait, pendant un repas, de lui donner la réplique ; Cælius se fâcha de ne pouvoir se fâcher. « Osez donc me contredire, lui dit-il avec colère, afin que nous soyons deux ici. » Le talent de Cælius, tel que je viens de le dépeindre, convenait merveilleusement au temps où il a vécu. C’est ce qui achève d’expliquer la réputation dont il jouissait et l’importance qu’il avait prise parmi ses contemporains. Ce discuteur emporté, ce railleur impitoyable, cet accusateur véhément n’aurait pas été tout à fait à sa place dans des temps réguliers ; mais au milieu d’une révolution il devenait un auxiliaire précieux, que tous les partis se disputaient. Cælius était d’ailleurs homme d’état aussi bien qu’orateur. C’est l’éloge que Cicéron lui donne le plus souvent. « Je ne connais personne, lui disait-il, qui soit meilleur politique que vous. » Il connaissait à fond les hommes ; il avait la vue nette des situations ; il se décidait vite, qualité que Cicéron appréciait beaucoup chez les autres, car c’était celle qui lui manquait le plus, et quand une fois il était décidé, il se mettait à l’œuvre avec une vigueur et une violence qui lui avaient gagné les sympathies de la foule. À une époque où le pouvoir appartenait à ceux qui osaient le