Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/567

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont les gémissemens aigus ont été comparés par un savant voyageur, M. Auguste Saint-Hilaire, au bruit du vent impétueux, et par un spirituel observateur, M. Biard, aux grognemens d’une douzaine de porcs qu’on égorgerait à la fois.

Nous continuâmes notre route par une picada tracée à travers ce fouillis inextricable, et nous arrivâmes enfin, vers midi, sur un petit plateau qui me parut propre à une halte. Je descendis de ma monture, et je priai mon cuisinier de m’apprêter au plus vite le déjeuner qu’il m’avait promis. En un moment il fut à l’œuvre. Avant tout, il s’agissait d’allumer le feu. Il commença par planter son coutelas sur le sol par la poignée, l’entoura de mousse, plaça une capsule sur la pointe, et d’un coup sec donné sur la capsule fit jaillir une étincelle qui eut bientôt enflammé la mousse. Le feu allumé, il reprit son coutelas et partit à la recherche des ustensiles de cuisine et des provisions. Dix minutes après, il revenait traînant un bambou d’une main et un chou-palmiste de l’autre. On sait généralement qu’un bambou n’est autre chose qu’un énorme roseau dont les nœuds sont espacés, le bois très résistant et le diamètre assez large. Il choisit un entre-nœud, découpa adroitement un petit carré sur la surface, introduisit dans l’intérieur l’extrémité du chou-palmiste, y écrasa quelques grains de piment, acheva de remplir l’entre-nœud avec de l’eau, boucha soigneusement l’ouverture et plaça le bambou au milieu du feu. J’avoue que je fus quelque peu étonné de ce sans-façon. Lui ayant fait remarquer le danger que courait mon déjeuner dans une casserole si fragile et au milieu d’un feu si ardent, il me répondit avec ce flegme qui caractérise le nègre : — Soyez tranquille, senhor ; tant que l’eau n’aura pas disparu, il n’y a rien à craindre pour la marmite. Quand elle sera près de sa fin, cela signifiera que le déjeuner est cuit.

Je dus m’incliner en face de tant de science et me rassurer devant ce calme. Le maître-coq profita du répit que lui laissait la cuisson de son pot-au-feu pour aller dans le ruisseau voisin cueillir une magnifique salade de cresson. Le cresson, ainsi que beaucoup d’autres plantes alimentaires de la famille des crucifères, est très commun dans l’Amérique du Sud. Il reprit son bambou, y tailla un saladier, et assaisonna la salade avec du piment et des citrons qu’il avait cueillis sur sa route ; le piment remplaçait le sel et le poivre, tandis que le jus de citron tenait lieu d’huile et de vinaigre. Le reste du bambou fut employé à me confectionner une assiette et un verre. Mon guide ne garda qu’un entre-nœud qui lui servit de casserole pour une friture de ces grosses fourmis ailées qui font le délice des nègres, et qui abondaient à cette époque. Son travail terminé, il jeta un coup d’œil sur la marmite, et, voyant que le bois commençait