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dité a diminué d’une façon étrange ou disparu complètement. Quelle cause invoquer ici ? Le brusque changement de mœurs, d’habitudes, a-t-il pu exercer cette influence destructive, comme le pense M. Gratiolet ? Je serais très porté à admettre cette explication dans une certaine limite et pour les îles qui ont le plus subi l’influence européenne, comme Tahiti et les Sandwich ; mais comment l’appliquer aux îles isolées où la race polynésienne conserve encore les mœurs, la religion et toutes les traditions de ses ancêtres ?

Pour jeter quelque jour, sur ce triste problème, je ne connais qu’un seul fait précis, recueilli par M. Bourgarel. Frappé comme tant d’autres de ces morts si fréquentes et toutes prématurées, ce jeune et habile chirurgien de marine sut trouver le moyen de faire un certain nombre d’autopsies. Or, chez tous les individus soumis à cette investigation, il rencontra des tubercules. Des observations analogues ont été faites à la Nouvelle-Zélande par des médecins anglais. Aurions-nous donc importé dans ces îles la phthisie, cette maladie qui tue lentement, se transmet des pères aux enfans, et détruit ainsi les familles sans bruit et comme à la sourdine ? En pénétrant dans ces climats, en atteignant cette race qui peut-être ne la connaissait pas, cette affection s’est-elle aggravée et généralisée, comme l’ont fait d’autres maladies importées ? est-elle devenue épidémique tout en conservant son caractère d’hérédité, et constitue-t-elle ainsi le fléau le plus complet que la médecine puisse inscrire dans ses cadres nosologiques ? Autant de questions que nous ne pouvons que.poser, mais que peuvent résoudre les collègues, les émules de M. Bourgarel, et surtout les médecins établis à demeure dans, ces lointaines régions.

Quoi qu’il en. soit des causes, le fait subsiste, et les conséquences sont faciles à prévoir. Si tout marche comme par le passé, il ne s’écoulera pas un siècle avant que la race polynésienne soit complètement anéantie. Puisse cette triste prévision exciter le zèle des observateurs placés dans les conditions les plus favorables ! Qu’ils s’informent avec une minutieuse persévérance de ce que fut cette race mourante, et qu’ils conservent ainsi à l’histoire générale de l’humanité une page où seront retracés, il est vrai, bien des erreurs et des fautes, mais aussi bien des traits aimables hautement proclamés par les Wallis et les Cook, comme par les Bougainville et les La Pérouse.

A. de Quatrefages.


(La seconde partie au prochain no)