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produisent partout. On l’a constaté aux Marquises comme dans les grands archipels que nous venons de citer ; seulement nous n’avons pas ici de chiffres précis à donner.

Quelle est la cause de cette dépopulation effrayante qui, en moins d’un siècle, a enlevé d’une manière progressive, et continue les 19/20es de ces insulaires ? Quand il s’agit de Tahiti, on peut, avec M. Guzent, faire une certaine part aux grandes guerres qui suivirent le passage de Cook et amenèrent l’avènement des Pomaré ; mais depuis assez longtemps ces guerres ont cessé, et la population n’en décroît pas moins. D’ailleurs rien de semblable ne s’est passé dans d’autres îles où la mortalité n’a pas été moindre. Invoquera-t-on l’influence de l’éléphantiasis ? Cette maladie régnait en Polynésie à l’arrivée des Européens. Il en est de même de la syphilis. Pour quiconque lit avec attention les voyages des premiers navigateurs, il est évident que les Anglais et les Français se sont réciproquement adressé des reproches immérités au sujet de la prétendue introduction de cette maladie. L’ivrognerie a pu avoir ses conséquences dégradantes et funestes dans quelques îles où nos alcooliques pénètrent fréquemment par suite de communications à peu près régulières ; mais elle n’a pu se développer dans les îles écartées où touchent à peine quelques rares baleiniers, qui se garderaient bien d’abandonner aux habitans leur provision d’eau-de-vie ou de wiskey. Et d’ailleurs, avant l’arrivée des Européens, les chefs polynésiens surtout savaient bien s’enivrer avec leur kawa, plus redoutable encore que nos liqueurs. Quant à la débauche, on sait jusqu’où les indigènes l’avaient portée. Sur ce point, les aréoïs n’avaient rien laissé à faire aux Européens. Aucune des causes que je viens d’énumérer ne me semble donc pouvoir être invoquée pour rendre compte de cette décroissance si rapide dans le chiffre des populations polynésiennes.

Je serais plus porté à attribuer une certaine influence aux maladies éruptives importées par les Européens. On sait combien ont été terribles les effets de ces affections chez les populations américaines, et il semble qu’ils ne soient guère moins désastreux chez les Polynésiens. En 1854, une épidémie de rougeole éclata à Tahiti et fit périr huit cents habitans, tandis que pas un seul étranger ne succomba. Ajoutons que les soldats indigènes soignés à l’hôpital guérirent tous également. Ce n’est pas seulement d’ailleurs l’augmentation du chiffre des morts qui caractérise l’étrange et douloureux phénomène que nous signalons ; cette mortalité est accompagnée de circonstances mystérieuses et qui semblent indiquer que la vie est ici atteinte à ses sources mêmes. La durée en est abrégée dans les deux sexes. En Polynésie, nous disent les derniers voyageurs, on ne trouve presque plus de vieillards. Chez les femmes, la fécon-