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courte lutte promptement terminée à son avantage, débarqua à Tahiti le 29 juin 1767. Il y resta jusqu’au 27 juillet, vivant dans la plus grande intimité avec les chefs, avec la reine régente, et recueillit de nombreux et utiles renseignemens. Il parle entre autres des moraï, qu’il regarde comme de simples cimetières[1]. Quant à la religion et au culte, voici ce qu’il en dit : « Je me suis appliqué avec une attention particulière à découvrir si les Tahitiens avaient un culte religieux ; mais je n’en ai pu reconnaître la moindre trace. » Ainsi au bout d’un mois et placé dans les conditions les plus favorables, Wallis n’avait rien vu de cette religion si complexe, de cet olympe si nombreux, de ce culte qui se mêlait à toute la vie du Tahitien !… C’est qu’il n’est rien moins que facile à l’Européen de faire expliquer le sauvage sur ces croyances qui touchent à ce que l’homme a de plus intime, et cet exemple devrait, je crois, inspirer un peu de circonspection aux voyageurs qui, après avoir passé quelques jours à peine au milieu de certaines peuplades, déclarent hardiment qu’elles sont sans religion aucune, parce qu’ils n’ont pu la découvrir.

Je n’ai guère jusqu’ici parlé des Polynésiens qu’au passé. C’est qu’en effet cette race s’en va. Non-seulement les blancs l’envahissent de toutes parts, lui imposant leurs mœurs, leurs usages, leurs lois, leurs croyances, et mêlant partout au sang indigène le sang anglais, français, espagnol, américain, mais encore elle se meurt comme prise d’un mal caché et universel. Les chiffres parlent ici un langage effrayant. Aux Sandwich, la population totale est aujourd’hui le quart à peine de ce qu’elle était au temps de Cook, et l’île d’Hawaii, qui comptait plus de 90,000 habitans, n’en possède pas 29,000[2]. À la Nouvelle-Zélande, en 1769, Cook trouva 400,000 Maoris environ, et en 1849 le protectorat indigène n’en comptait plus que 109,000. En 1774, Cook estimait à 240,000 âmes la population de Tahiti, et Forster, en ne tenant compte que de la population valide, en n’attribuant qu’un enfant à chaque ménage, arrivait encore au chiffre de 120,000. Or en 1797 les missionnaires ne comptaient déjà plus dans la même île que 50,000 habitans. De 1828 à 1838, d’après M. Cuzent, ce chiffre s’est réduit à 8,000, et le dernier recensement officiel fait en 1857 n’a plus donné que 7,212 habitans[3]. Ces faits, fussent-ils entièrement locaux, n’en seraient pas moins remarquables ; mais ils se re-

  1. Les moraï sont en même temps de véritables temples.
  2. Voyez l’intéressante étude de M. Adolphe Barrot sur les Îles Sandwich dans la Revue des Deux Mondes du 1er  et du 15 juin 1839.
  3. Cuzent, Tahiti. — Rapport sur le livre précédent par le docteur Rufz de Lavison, Bulletins de la Société d’anthropologie, t. II.