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dites. L’écorce de diverses espèces d’arbre[1] leur fournissait la matière première de leurs légers vêtemens. On la battait avec un maillet de manière à l’amincir, à entre-croiser les fibres, à les fixer en ajoutant certaines substances agglutinantes ; on obtenait ainsi un véritable papier qui remplaçait les tissus de laine ou de coton. Ce tissu a été retrouvé dans toute la Polynésie. Les Néo-Zélandais seuls, habitant un pays beaucoup plus froid, avaient su en outre tirer parti de la plante textile que fournit leur île[2], et se faire des manteaux plus épais avec la peau de leurs chiens et les produits de leur chasse.

On sait que les Polynésiens étaient une race très guerrière, et on peut remarquer comme un caractère ethnologique qu’aucune de leurs tribus n’employait l’arc et la flèche à titre d’armes. Ce n’est pas qu’ils en ignorassent l’usage, car on voit reparaître ces instruimens dans certains jeux. Cette absence d’armes atteignant de loin l’ennemi est d’autant plus remarquable chez ces peuples qu’on trouve l’arc chez toutes les races noires de la Mélanaisie. Était-ce chez les Polynésiens l’effet d’un point d’honneur, et regardaient-ils comme plus digne d’un brave de s’exposer de près aux coups de l’ennemi ? Quelque scrupule religieux motivait-il cette abstention ? Quoi qu’il en soit, leurs seules armes étaient la lance, servant aussi de javelot, des casse-tête, des massues de diverses formes, et des espèces d’épées en bois ou en pierre. Celles-ci, faites d’une sorte de jade, se trouvaient surtout à la Nouvelle-Zélande. Elles étaient regardées comme des objets d’un grand prix, et quelques-unes d’entre elles ont laissé des noms historiques, comme ceux de Flamberge et de Durandal.

On le voit, dans ces diverses manifestations intellectuelles, les Polynésiens ne s’élèvent en rien au-dessus des peuples demi-sauvages, et restent parfois au-dessous de populations généralement regardées comme leur étant très inférieures ; mais ils reprennent une supériorité marquée dès qu’il s’agit de navigation. Il semble qu’ils aient réservé pour cet art les forces les plus vives de leur intelligence. Les grands navigateurs qui les premiers parcoururent la Mer du Sud ont tous manifesté l’étonnement qu’ils éprouvèrent à la vue de ces embarcations étroites, allongées, maintenues en équilibre par leur balancier, et marchant dans toutes les directions grâce à leur grande voile triangulaire. Les grandes pirogues doubles les frappèrent surtout, et ils n’hésitèrent pas à les déclarer capables de suffire à des voyages considérables. On sait que cette espèce de bâtimens, destinés surtout à la guerre, consistaient en deux pirogues simples réunies par une plate-forme. À Tahiti, d’après

  1. Entre autres celle de l’arbre à pain, nommé plus haut, de l’aoa, espèce de figuier (ficus prolixa), de l’aouté, notre mûrier à papier (Broussonetia papyrifera).
  2. Le lin de la Nouvelle-Zélande (phormium tenax).