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polygénistes n’ont pas manqué de s’emparer de ces difficultés trop réelles, de les exagérer encore et de les opposer, à titre d’objections, à la doctrine monogéniste. La plupart, prenant même le problème dans ce qu’il a de plus général, ont déclaré ces migrations impossibles. C’est surtout à propos de l’Amérique et de l’Océanie que ce mot a été prononcé, et cela par des hommes d’un incontestable savoir. Or plus ces autorités sont réelles, plus il est nécessaire de leur répondre et de réfuter par des faits ce qui n’est à mes yeux qu’une assertion sans fondement.

Je voudrais aujourd’hui montrer que cette prétendue impossibilité des migrations humaines n’existe pas, et pour prendre l’objection dans ce qu’elle a de plus plausible, pour attaquer le taureau par les cornes, je m’occuperai des Polynésiens. J’espère démontrer de la manière la plus irrécusable que les peuplades disséminées dans l’Océanie n’ont pas plus poussé sur les récifs de corail de la Mer du Sud que les Esquimaux de Ross n’étaient nés sur la glace[1]. Toutefois, avant d’aborder cette partie du problème, il est bon de préciser ce que sont les peuples et la race dont il s’agit, d’indiquer leurs principaux caractères physiques, intellectuels et moraux, sans entrer dans des détails trop connus. Dans cette étude même, nous trouverons des faits qui viendront à l’appui de la conclusion générale, et des motifs pour rattacher aux autres familles humaines cette race polynésienne, qui semble avoir cherché à s’isoler dans l’immensité des mers, comme pour poser aux savans le plus difficile des problèmes ethnologiques.



I. — caractères physiques.

Les diverses populations de la Polynésie ont été tant de fois décrites et figurées que l’anthropologiste peut assez aisément se faire une idée très nette des caractères généraux qui les distinguent, des variétés qu’elles présentent, des exceptions que l’on rencontre ici comme dans toutes les races humaines. En outre la collection du Muséum renferme un nombre suffisant de têtes osseuses, de bustes moulés et peints sur nature, pour permettre de contrôler efficacement tout ce qui a été dit sur ce sujet. Or, en s’aidant de ces divers moyens d’étude, il me semble impossible de ne pas voir dans la race polynésienne une race mixte, c’est-à-dire une race qui ne se rattache directement à aucun des trois grands types de l’humanité, tout

  1. Ce célèbre navigateur anglais rencontra une tribu d’Esquimaux qui ne se rappelait pas avoir vu la terre ferme. Un zoologiste français qui a publié sur l’histoire de quelques races humaines un volume d’ailleurs intéressant, Desmoulins, en conclut qu’ils étaient originaires de la région glacée où’ on les observa. Voyez son Histoire naturelle des races humaines du nord-est de l’Europe.