Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une pièce de sa façon intitulée les Faits et Gestes de Charlemagne en vingt-quatre journées ? et cette autre page où l’auteur dit que le Cirrus de Mlle de Scudéry est certainement « le livre du monde le mieux meublé ? » Hélas ! M. Gautier, en se proposant de continuer Scarron, aura négligé de l’étudier : il s’est contenté de l’ombre du Roman comique. Mettre en pied avec une adresse peu ordinaire les bonshommes de Callot, peindre en un tableau plein de contrastes ces bohèmes du temps jadis, cette troupe de comédiens ambulans, depuis le tyran tragique et le tranche-montagne jusqu’au Léandre avec ses airs penchés, depuis la dame Léonarde qui joue les duègnes jusqu’à l’Isabelle chargée des rôles d’ingénue, c’est à merveille ; mais si tous et toutes se dessinent sur le fond du roman avec la pose, la désinvolture et le costume qui leur conviennent, l’invention est nulle. Le vrai genre picaresque est fertile en ressources prises dans le vif de la réalité ; le monde picaresque de M. Gautier est habillé avec un luxe d’images et d’épithètes qui étonne, mais l’auteur, au lieu de chercher dans la réalité une veine nouvelle d’observation bouffonne, se borne à reproduire les types du Roman comique. Les emprunts de M. Gautier à cette œuvre et à d’autres sources, pour l’affabulation ou pour quelques traits de son roman, se reconnaissent tout de suite. Ce couple aimable aux pudiques amours, l’Étoile et le Destin, est passé dans le roman de M. Gautier avec le même caractère de fidélité et de réserve et le même entourage : Mlle de l’Étoile est devenue l’Isabelle du Capitaine Fracasse. Le personnage du baron de Sigognac réunit celui du brave Destin et celui de Léandre, jeune homme de qualité qui, chez Scarron, se fait valet de comédie pour les beaux yeux d’une fille de théâtre. Le nom même du baron de Sigognac est tiré de l’histoire de la comédienne La Caverne. Pour le capitaine Fracasse, depuis longtemps ce masque de théâtre sollicitait l’humeur descriptive et le style téméraire de l’auteur des Grotesques ; c’est là qu’il faut se reporter, si l’on veut en ressaisir la primitive ébauche dans le portrait de ces fendeurs de naseaux qui ne parlaient que de renverser les escadrons au vent de leur tueuse. L’origine première du type est surtout dans la parodie et la caricature de cette vantardise qui était le défaut extrême du caractère espagnol, exploité par le théâtre au commencement du XVIIe siècle et poussé à outrance, comme on peut le voir jusque dans le Cid. La parodie vint de bonne heure. Une des farces les plus populaires de Tabarin était le capitaine Rodomont ; dans l’Illusion comique, de Pierre Corneille, figure un personnage du nom de Matamore ; une pièce de Scarron avait paru sous ce titre : Les Boutades du capitan Matamore, et M. Gautier la cite en passant dans les Grotesques. Il fallait bien puiser quelque part, dira-t-on. Eh ! pourquoi traduire sur la scène des types enterrés depuis deux siècles ? M. Gautier veut qu’on s’imagine feuilleter « des eaux-fortes de Callot ou des gravures d’Abraham Bosse historiées de légendes ; » mais Callot est Callot : nous savons qu’il fixa d’un trait incisif les modes, les misères, les mœurs, bref toute la tragi-comédie de son âge, et non d’un autre. Le Roman comique est dans les mains de tout le monde ; faut-il le refaire ? Respectons-le autant que les eaux-fortes du vieux maître : bien hardi qui tenterait de les retoucher ! Sommes-nous contemporains de Callot et de la société qu’il coudoya, de Louis XIII, des raffinés de la Place