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parla de leurs courses sur le rivage, de l’éclat et du bruit de leurs festins et de leurs promenades sur la mer, avec des barques qui portaient des chanteurs et des musiciens. Voilà tout ce que Cicéron nous raconte ou plutôt ce qu’il nous fait entrevoir, car, contre son habitude et à notre grand dommage, il a tenu cette fois à être discret pour ne pas compromettre son ami Cælius. Nous pouvons heureusement en savoir davantage et pénétrer plus profondément dans cette société que notre curiosité voudrait mieux connaître : il ne faut que nous adresser à celui qui fut, avec Lucrèce, le plus grand poète de ce temps, à Catulle. Catulle a vécu parmi ces personnages si dignes d’étude, et il a eu avec eux des rapports qui lui ont permis de les bien dépeindre. Tout le monde connaît cette Lesbie que ses vers ont immortalisée ; mais ce qu’on sait moins, c’est que Lesbie n’était pas une de ces fictions comme en imaginent souvent les poètes élégiaques. Ovide nous dit que ce nom cachait celui d’une dame romaine, probablement une grande dame, puisqu’il ne veut pas la nommer, et à la façon dont il en parle on voit bien que tout le monde alors la connaissait. Apulée, qui vivait beaucoup plus tard, est plus indiscret, et il nous apprend que Lesbie, c’est Clodia[1]. Catulle a donc été l’amant de Clodia et le rival de Cælius : il a fréquenté, lui aussi, cette maison du Palatin et ces beaux jardins du Tibre, et ses vers achèvent de nous faire connaître cette société, dont il a été l’un des héros.

J’ai dit tout à l’heure que Clodia n’aimait pas l’argent avec l’avidité des femmes galantes de ce temps et de tous les temps. L’histoire de Catulle le prouve bien. Ce jeune provincial de Vérone, quoiqu’il fût d’une famille honorable, n’était pas très riche, et après qu’il eut vécu quelque temps à Rome d’une vie de dissipations et de plaisirs, il ne lui restait plus rien. Son pauvre petit domaine fut bientôt chargé d’hypothèques. « Il n’est exposé, disait-il gaîment, ni au vent impétueux du nord ni aux fureurs de l’auster : c’est un ouragan de dettes qui souffle sur lui de tous côtés. Oh ! le vent horrible et empesté ! » Au tableau qu’il fait de quelques-uns de ses amis, encore plus pauvres et plus endettés que lui, on voit bien que ce n’est pas sur eux qu’il devait compter, et que sa bourse « pleine d’araignées » n’avait pas grand secours à en attendre. Ce n’était donc pas la fortune ou la naissance que Clodia pouvait aime dans Catulle, mais l’esprit et le talent. Ce qui le séduisit en elle, ce qu’il aima avec tant de passion, ce fut la distinction et la grâce. Ces qualités ne sont pas ordinairement celles des femmes qui vivent comme Clodia ; mais chez elle, si bas qu’elle fût descendue, on retrouvait

  1. Un savant allemand, M. Schwab, dans un livre qu’il vient de publier sur Catulle, a mis hors de doute la vérité de cette assertion d’Apulée.