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la monnaie de papier pour de petites sommes, les caisses de l’état dans les gouvernemens paieront à présentation des billets jusqu’à concurrence de 100 roubles en espèces sonnantes. » La caisse de Saint-Pétersbourg remboursait seule sans aucune réserve les billets présentés par la même personne, et la banque de Moscou les payait jusqu’à la concurrence de 3,000 roubles. Néanmoins le cours du papier s’est maintenu jusqu’au moment où des émissions surabondantes sont venues le déprécier.

Il se produisit alors un phénomène curieux : les dépôts faits dans les anciens établissemens de crédit de l’empire s’accrurent, non par suite d’une confiance plus grande des particuliers, mais à cause de l’exubérance même du papier et du défaut d’autre emploi. L’esprit d’entreprise, le mouvement industriel, les opérations qui demandent du temps pour donner des résultats, tout ce qui dans l’occident ouvre un débouché assuré à la formation des capitaux, tout cela manque ou n’existe en Russie que dans des limites étroites. Au lieu d’alimenter par leur concours les forces vives de la civilisation, les capitaux ont eu toujours dans ce pays une propension à prendre leurs invalides, comme le disait Jacques Laffitte des fonds employés en rente. L’échange facultatif contre argent étant supprimé, il fallait bien trouver un autre déversoir pour la masse exubérante du papier-monnaie. Les billets de crédit sans intérêt profitèrent, en affluant dans les caisses des banques, de la facilité qui leur était offerte de s’échanger contre des certificats de dépôt, transmissibles de main en main et productifs d’un revenu, véritables billets de banque à intérêt, toujours échangeables contre les billets de crédit de l’empire, car on pouvait réclamer à volonté le montant des dépôts. Le gouvernement se faisait remettre par les banques les fonds disponibles, qu’il augmentait au moyen de nouvelles émissions de papier, en arrivant par ce circuit à un emprunt déguisé, conclu sous la forme la plus périlleuse. En effet, toute cette masse de dépôts constituait une créance exigible, tandis que la partie employée autrement qu’aux besoins du trésor était prêtée à longs termes aux propriétaires fonciers. Ceux-ci ne trouvaient que dans les banques de l’état les fonds dont ils avaient besoin, car les lois relatives au crédit personnel et les difficultés d’obtenir justice tarissaient la source des emprunts entre particuliers, en arrachant à M. de Tengoborski ce triste aveu : « En Russie, le débiteur ne paie que quand il veut, ce qu’il veut, et comme il veut. »

Il est superflu de s’étendre ici sur l’histoire des anciens établissemens de crédit de l’empire, — lombards[1], banques de prêt à la propriété, etc., — englobés aujourd’hui à Saint-Pétersbourg dans

  1. Nom donné abusivement aux caisses de l’institution des enfans trouvés.