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indications décisives n’a point cherché à rembrunir le tableau. L’aveu qu’il contient justifie de graves réflexions. Dans une situation normale, les budgets russes se soldent par un déficit croissant malgré le zèle et les lumières des hommes auxquels l’administration des finances se trouve confiée. C’est que la situation est tellement tendue que les plus habiles ne sauraient aisément la dominer. Voudra-t-on maintenant aggraver cette situation ? S’efforcera-t-on de l’améliorer, ou seulement de la maintenir ? Augmenter les sources de revenus, diminuer les sources de dépenses, telle est la voie qu’indique le bon sens. Recherchons ce qu’on y peut faire, et voyons d’abord les sources de revenu.

Un budget de 1 milliard 300 millions est d’un poids écrasant pour un pays dont les ressources, il faut bien le dire, ne sont pas relativement bien considérables. L’industrie russe n’est pas encore, malgré de louables efforts, entièrement sortie de l’enfance ; le commerce, peu développé, s’occupe surtout de l’échange des matières premières, l’agriculture souffre de la désorganisation causée par l’abolition du servage ; elle solde aujourd’hui l’arriéré de misère et de souffrance, inévitable châtiment d’un trop long oubli des droits de la justice et de l’humanité. La noblesse est ruinée et ne possède point le capital nécessaire pour inaugurer un nouveau ménage des champs. On n’en est plus au temps ou, comme le disait Sismondi, la culture du blé ne coûtait que les coups de bâton distribués aux paysans ; il faut payer le travail de la terre, et partout les bras manquent ; on ne peut recourir au concours énergique de la mécanique agricole, car celle-ci demande des déboursés considérables, elle exige aussi des lumières qui font défaut. Les fermiers un peu aisés et entreprenans sont une classe presque inconnue ; le tiers-état agricole existe moins encore que le tiers-état des villes. En, un mot, la Russie est pauvre. Comment ne souffrirait-elle pas d’une charge aussi lourde que celle d’un budget de dépenses de plus de 1 milliard 300 millions ? Celui-ci ne se borne point, comme dans les états de l’Occident, à prélever une partie de l’excédant des profits, sans cesse accru par le rapide mouvement de la production : il s’attaque à la substance même du travail, il dévore tous les germes de l’accroissement du capital d’entreprise et d’exploitation, sans lequel les nations se trouvent désarmées. Le sol, mal cultivé, ne donne que des récoltes misérables ; les voies de communication ne se développent qu’avec lenteur, car les capitaux étrangers, attirés un moment par de brillantes promesses, se retirent d’un emploi qui ne présente ni grand avantage, ni sécurité suffisante ; la fabrique languit et les échanges déclinent.

La Russie est pauvre : nous croyons cependant qu’on n’a pas